CDH 59 : Deux formes de justice ? Faire face aux inégalités dans les systèmes juridiques

59e session du Conseil des droits de l’homme

16 juin – 9 juillet 2025

Item 3 : Dialogue interactif avec la Rapporteuse spéciale sur l’indépendance des juges et des avocats

25 juin 2025

Par Elina Riznic / GICJ

Traduit par Astrid Bochnakian / GICJ 

Résumé 

La 59è session du Conseil des droits de l’homme a organisé un dialogue interactif avec Mme Margaret Satterthwaite, Rapporteuse spéciale sur l’indépendance des juges et des avocats. Son rapport s’est concentré sur sa visite au Chili, du 29 juillet au 9 août 2024, mettant en lumière à la fois les progrès et les inégalités persistantes dans le système judiciaire du pays. Tout en reconnaissant la solidité des institutions chiliennes et l’indépendance de la magistrature, elle a noté que de nombreux Chiliens perçoivent l’existence d’un « système judiciaire à deux vitesses » : un pour les riches et un autre pour les pauvres.

Mme Satterthwaite a également alerté sur la recrudescence mondiale des attaques contre les professionnels du droit, souvent destinées à réduire au silence ceux qui défendent les droits des populations marginalisées. Elle a souligné que des procédures disciplinaires et pénales sont de plus en plus utilisées pour sanctionner les acteurs juridiques indépendants, en particulier ceux qui contestent les récits étatiques ou défendent des causes impopulaires.

Des délégations, notamment de l’Union européenne, de la Suisse, de l’Uruguay et de l’Indonésie, ont exprimé leur soutien aux conclusions de la Rapporteuse, en soulignant le rôle essentiel des avocats dans la défense de l’État de droit et des principes démocratiques. Des préoccupations ont été soulevées concernant les représailles, la surveillance numérique et l’ingérence politique dans les systèmes judiciaires.

Le Geneva Centre for International Justice (GICJ) fait écho aux appels urgents de la Rapporteuse spéciale pour garantir l’indépendance des professionnels du droit et assurer un accès universel à la justice. Le GICJ souligne que les systèmes juridiques ne doivent pas reproduire les inégalités sociales et que les professionnels du droit doivent être protégés des menaces politiques, juridiques et physiques.

Contexte 

Une justice indépendante et une profession juridique libre constituent des piliers essentiels de l’État de droit et de la protection des droits humains. Dans de nombreux pays, avocats et juges subissent des pressions croissantes, allant des menaces et du harcèlement aux représailles orchestrées par l’État, en raison de leur engagement en faveur des voix dissidentes. Dans les démocraties fragiles et les contextes marqués par les conflits, les systèmes judiciaires sont souvent manipulés pour renforcer le contrôle politique et réprimer la société civile.

Le Chili, bien qu’il soit reconnu pour la solidité de ses institutions, demeure confronté à des inégalités au sein de son système judiciaire. Le cadre juridique chilien consacre le droit fondamental à un procès équitable et public, tel que garanti par l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et par l’article 8 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, deux instruments ratifiés par le Chili. Ces droits sont inscrits dans la Constitution de 1980, qui prévoit notamment le respect de la procédure régulière, l’égalité devant la loi, le droit à la défense, l’habeas corpus et des garanties contre la détention arbitraire.

Le pouvoir judiciaire est régi par la Constitution et par le Code de l’organisation judiciaire de 1943 (Loi n° 7421). L’article 76 garantit l’indépendance judiciaire et impose le respect des injonctions des tribunaux. Toute réforme de la structure judiciaire doit être soumise préalablement à la consultation de la Cour suprême.

Le pays est divisé en dix-sept territoires judiciaires, chacun doté d’une cour d’appel supervisant les tribunaux de première instance. La Cour suprême détient un pouvoir administratif et de supervision sur l’ensemble des juridictions, y compris sur des organes spécialisés tels que les tribunaux environnementaux ou de marchés publics. Quant au Tribunal constitutionnel, composé de dix juges nommés par différentes instances, il assure le contrôle de constitutionnalité de la législation, ses décisions étant définitives et contraignantes.

Le ministère de la Justice et des Droits humains joue un rôle de passerelle entre le pouvoir exécutif et la magistrature. Il intervient dans la nomination des juges, les réformes légales, la politique pénitentiaire et les services d’assistance juridique.

Enfin, les systèmes de justice autochtones constituent une composante essentielle de l’identité, de l’autonomie et de la survie culturelle des peuples autochtones, participant directement à leur droit à l’autodétermination. Si le Chili a engagé quelques démarches pour intégrer les perspectives autochtones dans les procédures pénales, des obstacles structurels persistent, tels que la discrimination linguistique, l’absence d’une aide juridique adaptée aux réalités culturelles, et une reconnaissance limitée des mécanismes de justice autochtone. Conformément aux normes internationales, dont la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, le Chili est encouragé à reconnaître pleinement le droit de ces peuples à maintenir et développer leurs propres systèmes de justice, tout en les intégrant au cadre judiciaire national de manière respectueuse de leur autonomie et garantissant un meilleur accès à la justice pour tous.

Résumé du rapport de la Rapporteuse spéciale

Le rapport présenté par la Rapporteuse spéciale sur l’indépendance des juges et des avocats, Mme Margaret Satterthwaite, rend compte de sa visite au Chili du 29 juillet au 9 août 2024. Tout en saluant le haut niveau de développement institutionnel et l’indépendance judiciaire du pays, elle met en lumière des inégalités structurelles persistantes et des défis importants pour garantir un accès équitable et inclusif à la justice.

Si juges et procureurs exercent globalement leurs fonctions de manière indépendante, l’opinion publique évoque l’existence d’une « justice à deux vitesses » : l’une pour les riches, l’autre pour les pauvres, dans un contexte où « 1 % de la population détient 49,6 % des richesses, et où les groupes vulnérables rencontrent de sérieuses difficultés ». Cette fracture est aggravée par des lacunes dans l’accès à l’aide juridique civile, qui touchent de manière disproportionnée les populations défavorisées, notamment les peuples autochtones, les migrants et les femmes.

Mme Satterthwaite salue le professionnalisme et l’indépendance du système de défense pénale publique (Defensoría Penal Pública), mais souligne que cette institution devrait bénéficier d’une autonomie administrative et budgétaire complète, afin de ne pas dépendre du ministère de la Justice. L’Académie judiciaire est également reconnue pour la qualité de sa formation et ses critères de mérite, mais certaines pratiques de nomination contournent ses diplômés. La Rapporteuse salue par ailleurs la création du futur Service national d’accès à la justice, estimant que ce dispositif pourrait réduire les inégalités s’il est correctement financé et mis en œuvre.

Le rapport pointe des insuffisances en matière de représentation des femmes dans la magistrature, notamment aux plus hauts niveaux. Si elles sont majoritaires parmi les étudiantes en droit et juges de première instance, elles restent nettement sous-représentées à la Cour suprême et dans les cours d’appel. Bien que des initiatives comme le Secrétariat technique de la Cour suprême pour l’égalité de genre soient positives, des réformes structurelles demeurent nécessaires. Des cas de harcèlement sexuel au sein de la magistrature révèlent également des obstacles institutionnels et culturels, ce qui appelle à l’adoption de normes éthiques contraignantes et de procédures sensibles au genre.

Les nominations judiciaires, en particulier à la Cour suprême et au Tribunal constitutionnel, demeurent opaques et fortement politisées. La Rapporteuse spéciale plaide pour un système transparent et fondé sur le mérite, soutenant les propositions visant à transférer cette responsabilité à un organe indépendant. Le scandale « Hermosilla » illustre l’urgence de cette réforme. Le système actuel d’évaluation et de discipline des juges est jugé défaillant, trop axé sur des indicateurs de productivité et dépourvu d’un code d’éthique exécutoire. Elle appelle donc à la création d’un organe indépendant et à l’adoption d’un code national élaboré de manière participative.

L’accès à la représentation juridique reste un problème majeur, la classe moyenne étant exclue de l’aide juridique publique. Des réformes structurelles sont nécessaires afin d’assurer un accès égalitaire, indépendamment du revenu. Dans les régions placées sous état d’urgence, comme La Araucanía, les garanties procédurales sont compromises, en particulier pour les accusés mapuches, confrontés à des détentions prolongées et à des pratiques humiliantes comme l’usage des chaînes. Les peuples autochtones rencontrent également des obstacles persistants, tels que les barrières linguistiques et l’absence de services adaptés à leur culture.

Les tribunaux militaires et de police locale sont critiqués pour des lois obsolètes et un manque de contrôle efficace. La Rapporteuse recommande des réformes axées sur la formation, les infrastructures et des nominations fondées sur le mérite. Les tribunaux environnementaux, bien conçus, souffrent d’un manque de ressources et d’une compétence limitée. Elle propose d’élargir les capacités judiciaires dans ce domaine et, lorsque pertinent, d’inverser la charge de la preuve.

Le rapport formule 29 recommandations couvrant l’aide juridique, l’indépendance judiciaire, l’égalité de genre, la lutte contre la corruption, et la création de mécanismes accessibles de plainte pour faute judiciaire. En résumé, la Rapporteuse préconise la mise en place d’un organe indépendant de nomination des juges, la réforme de l’aide juridique, l’application effective de normes éthiques, l’amélioration de la parité, et la levée des mesures d’exception qui pénalisent de manière disproportionnée les communautés autochtones. L’état d’exception en Araucanía devrait être levé, et les tribunaux doivent garantir un traitement équitable aux accusés mapuches. Le Chili est également invité à appliquer les décisions des juridictions internationales, à réformer les tribunaux de police locale et les juridictions environnementales, et à protéger les juges contre les menaces tout en respectant leur droit à la vie privée.

Enfin, dans son rapport thématique intitulé « Le droit des peuples autochtones de maintenir et développer leurs systèmes de justice », la Rapporteuse spéciale souligne que ces systèmes sont intimement liés à l’autodétermination, à l’identité et à la survie culturelle des communautés autochtones. Là où ils sont pleinement reconnus, on constate généralement un renforcement de la cohésion communautaire, une résolution plus efficace des conflits, une baisse de la criminalité et une meilleure gestion de l’environnement. Néanmoins, ces systèmes demeurent souvent marginalisés, limités dans leur compétence ou leur légitimité, voire ignorés par les autorités nationales. En s’appuyant sur les avis des organes conventionnels de l’ONU, d’experts internationaux et du Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones, la Rapporteuse rappelle que ces peuples disposent du droit, affirmé dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, de gérer leurs propres systèmes juridiques. Elle insiste sur l’obligation des États de garantir que ces systèmes soient reconnus et puissent fonctionner sur un pied d’égalité avec les juridictions nationales, en mettant en place des mécanismes de coordination respectueux des deux traditions et de l’autonomie des peuples concernés.

Résumé du dialogue interactif 

Déclaration d’ouverture 

La Rapporteuse spéciale a commencé par saluer les progrès réalisés par le Chili en matière d’indépendance judiciaire, reconnaissant la solidité de ses institutions ainsi que l’autonomie dont disposent largement les juges et procureurs dans leur travail quotidien. Elle a félicité le Bureau de la défense pénale publique pour son professionnalisme, appelant le gouvernement à lui accorder une autonomie complète, et a souligné le rôle de l’Académie judiciaire ainsi que des organes spécialisés tels que les tribunaux environnementaux.

Cependant, elle a relevé que de nombreux Chiliens perçoivent l’existence d’un système de justice à deux vitesses : l’un pour les riches et l’autre pour les pauvres, ce qui reflète de profondes inégalités structurelles. Elle a accueilli favorablement les initiatives en cours, notamment la proposition de création d’un Service national d’accès à la justice, actuellement à l’examen au Sénat, en soulignant son potentiel pour lever les barrières structurelles entravant l’aide juridique civile.

La Rapporteuse spéciale a également abordé la question du trafic d’influence dans les nominations à la Cour suprême. Elle a recommandé d’intégrer le système de haute administration publique chilien dans la sélection des candidats judiciaires et plaidé pour des nominations fondées sur le mérite, selon des critères transparents tels que les compétences, la formation et l’intégrité. Elle a en outre insisté sur l’importance de séparer les fonctions administratives et juridictionnelles de la Cour suprême.

Alors que le Chili fait face à la montée du crime organisé, elle a mis en garde contre les stratégies purement répressives qui pourraient fragiliser le respect des droits humains. Elle a exprimé sa préoccupation face aux informations selon lesquelles certains juges et procureurs traitant de violations graves des droits humains subiraient du harcèlement, notamment sur les réseaux sociaux et de la part de responsables politiques.

Parmi ses principales recommandations, la Rapporteuse spéciale a appelé à :

  • l’adoption d’un cadre éthique contraignant pour tous les avocats en exercice,
  • la fin de l’état d’exception prolongé dans les régions de l’Araucanía et du Biobío,
  • et la reconnaissance formelle des droits fonciers autochtones dans la Constitution.

Elle a conclu ses observations relatives à la visite de pays en exhortant le Chili à s’attaquer aux problèmes structurels de longue date de son système judiciaire, estimant que des réformes profondes sont essentielles pour restaurer la confiance du public.

En passant à son rapport thématique, la Rapporteuse spéciale a présenté son intitulé : « Le droit des peuples autochtones de maintenir et de développer leurs systèmes de justice ». Elle a souligné que ces systèmes sont indissociables de l’autodétermination, de l’identité et de la survie des peuples autochtones. Les études, a-t-elle rappelé, montrent que là où la justice autochtone est pleinement reconnue, la criminalité diminue, les mécanismes de résolution des conflits sont plus durables et la protection de l’environnement est renforcée. Malgré ces avantages, ces systèmes de justice restent souvent ignorés, restreints ou subordonnés aux juridictions ordinaires. Dans certains pays, ils ne sont pas du tout pris en compte, tandis que dans d’autres, ils sont reconnus mais voient leur compétence ou leur autorité limitée.

Son rapport s’appuie sur les recommandations d’anciens titulaires de mandat, ainsi que sur les contributions du Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones, des organes conventionnels des Nations unies et d’experts internationaux. Elle a réaffirmé le droit des peuples autochtones, consacré par la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones,  d’exercer leurs propres systèmes juridiques, et s’est engagée à défendre l’indépendance de tous les acteurs de la justice, y compris ceux relevant de ces systèmes autochtones.

La Rapporteuse spéciale a conclu son intervention en évoquant plusieurs cas soulevés dans ses communications officielles, en rappelant que les normes internationales exigent que juges et avocats puissent exercer leurs fonctions à l’abri de toute pression ou ingérence. Elle a mis en avant le cas de l’Eswatini, où aucun progrès n’a été enregistré dans l’enquête sur l’assassinat de l’avocat Thulani Maseko, ce qui a provoqué un effet dissuasif sur la communauté juridique. En Haïti, elle a dénoncé le meurtre du juge Maxime Castell ainsi que des informations faisant état d’exécutions sommaires commises par des membres du ministère public. Elle a exhorté à mener des enquêtes et à traduire les responsables en justice.

La Rapporteuse spéciale a également attiré l’attention sur la situation du Bélarus, mis à l’honneur lors de la Journée de l’avocat en danger de cette année, où les avocats subissent répression, radiation et emprisonnement. Elle a cité le cas emblématique de Maksim Znak, condamné à dix ans de prison à l’issue d’un procès à huis clos pour avoir défendu des figures de l’opposition, et détenu au secret depuis février 2023. Elle a également exprimé son inquiétude concernant l’Éthiopie, où 35 juges et 14 procureurs ont été arbitrairement arrêtés et détenus par la police fin 2024.

Déclaration du pays concerné : Chili 

La représentante du Chili a accueilli le rapport de la Rapporteuse spéciale sur l’indépendance des juges et des avocats, en lui exprimant sa gratitude pour sa visite officielle ainsi que pour le caractère constructif de son rapport. La délégation a salué à la fois la reconnaissance des avancées institutionnelles du Chili et la précision des recommandations reçues. Elle a souligné que cette visite avait constitué une occasion opportune de dialogue ouvert, respectueux et technique entre l’État et le système international des droits humains.

Le Chili a particulièrement apprécié les éloges adressés à plusieurs institutions nationales, notamment le Conseil de défense de l’État, le Bureau de la défense publique, l’Académie judiciaire, le Secrétariat pour l’égalité de genre et la non-discrimination de la Cour suprême, la Commission présidentielle pour la paix et la compréhension, ainsi que les tribunaux environnementaux. La représentante chilienne a rappelé que la visite s’était déroulée à un moment crucial, alors que le pays était déjà engagé dans des discussions visant à améliorer la gouvernance judiciaire et l’indépendance de la justice. lle a qualifié les recommandations de la Rapporteuse spéciale de feuille de route précieuse pour renforcer le système judiciaire et a confirmé que le Chili les examine avec sérieux.

L’une des principales recommandations concernait la séparation des fonctions administratives et juridictionnelles de la Cour suprême. En réponse, le Chili a indiqué que le gouvernement avait présenté un projet de réforme constitutionnelle visant à créer un Conseil de nomination judiciaire et à appuyer cette séparation. Bien que l’exécutif ne puisse garantir l’adoption de ce projet en raison du principe de séparation des pouvoirs, il en a fait une priorité et soutient activement le processus législatif.

En parallèle à ces efforts législatifs, le pouvoir judiciaire a mis en œuvre des initiatives destinées à renforcer la transparence et la confiance du public. Dans le cadre d’un plan d’action pour un « État ouvert », le programme Justice transparente vise à améliorer l’accès à l’information juridique et à promouvoir la participation citoyenne.

S’agissant des difficultés rencontrées par les peuples autochtones dans leurs interactions avec le système judiciaire, la déléguée chilienne a reconnu qu’il restait encore des progrès à accomplir. Elle a toutefois mentionné les efforts en cours, tels que l’intégration de facilitateurs interculturels et la collaboration avec des leaders spirituels afin de mieux accompagner les victimes autochtones. Enfin, la délégation a reconnu la référence du rapport à l’absence de reconnaissance constitutionnelle des peuples autochtones, soulignant la conscience de ce défi toujours présent.

Déclarations d’autres pays

La majorité des pays ont salué l’accent thématique mis par la Rapporteuse spéciale sur les systèmes de justice autochtones et ont souligné l’importance de l’indépendance judiciaire, du pluralisme juridique et de l’accès à la justice. Plusieurs ont également partagé leurs propres réformes nationales ou exprimé des préoccupations, qu’elles soient liées à leurs systèmes judiciaires internes ou à des défis géopolitiques affectant la justice.

Le délégué de l’Indonésie a exprimé une grande appréciation pour les efforts continus du Rapporteur spécial visant à promouvoir l’indépendance judiciaire à l’échelle mondiale. Soulignant les réformes nationales, le Vice-Ministre des droits de l’homme a indiqué que l’Indonésie a révisé son Code de procédure pénale afin de renforcer l’impartialité judiciaire et de donner aux juges une plus grande marge de manœuvre pour garantir des procès équitables. Le pays élargit également le rôle des avocats et améliore la rémunération des juges, considérée comme un moyen de les protéger contre les pressions extérieures. L’Indonésie a réaffirmé son engagement à assurer l’accès à la justice pour tous, notamment par le biais de l’aide juridique destinée aux personnes défavorisées, et s’est engagée à poursuivre une collaboration constructive avec le mandat.

Le représentant de l’Union européenne a remercié la Rapporteuse spéciale pour son rapport et a réitéré son soutien à son mandat. L’UE a souligné son engagement à promouvoir l’état de droit et les droits des peuples autochtones, y compris le principe du consentement libre, préalable et éclairé. L’UE a reconnu l’importance de cadres juridiques non discriminatoires et la nécessité d’assurer l’accès à la justice pour tous, en particulier pour les peuples autochtones. Une préoccupation particulière a été exprimée concernant les obstacles rencontrés par les femmes autochtones, les enfants, les personnes âgées, les jeunes et les personnes en situation de handicap. L’UE a demandé à la Rapporteuse de préciser quels sont les obstacles à la justice les plus typiques auxquels sont confrontées les femmes et les filles autochtones.

La représentante du Ghana, au nom du Groupe africain, a remercié la Rapporteuse spéciale pour son attention portée aux droits des peuples autochtones à maintenir et développer leurs propres systèmes de justice. Cela a été jugé particulièrement pertinent pour l’Afrique, où de nombreuses communautés autochtones s’appuient depuis longtemps sur des mécanismes traditionnels mettant l’accent sur la justice réparatrice, la participation communautaire et la réconciliation. Le Groupe africain a réaffirmé que ces systèmes font partie intégrante de l’identité et de la cohésion sociale. Bien que de nombreux pays africains fonctionnent selon des systèmes juridiques pluralistes, le Groupe a souligné que les mécanismes de justice autochtones doivent se conformer aux normes relatives aux droits de l’homme. Il a appelé la communauté internationale à soutenir l’intégration de ces systèmes dans les cadres nationaux tout en respectant leur autonomie et leur importance culturelle.

Le délégué du Danemark, au nom des États nordiques et baltes, a salué le rapport et réaffirmé son soutien aux droits des peuples autochtones. Il a partagé des exemples provenant de leur propre région : au Groenland, les systèmes judiciaires intègrent les traditions inuites mettant l’accent sur la réintégration, tandis qu’en Finlande, des réformes législatives récentes ont renforcé l’autodétermination du peuple Sámi. Cela inclut la création d’un conseil d’appel pour les questions électorales du Parlement Sámi. Le représentant a demandé à la Rapporteuse spéciale quelle était, selon elle, la mesure la plus urgente pour protéger et promouvoir les institutions juridiques des peuples autochtones.

Le délégué de la Belgique, prononçant une déclaration conjointe au nom de plus de 50 États parties au Statut de Rome, a exprimé une vive inquiétude face aux récentes sanctions visant des responsables de la Cour pénale internationale (CPI), y compris quatre juges et le procureur. Ces attaques ont été perçues comme des tentatives de saper l’indépendance de la Cour et le système judiciaire international dans son ensemble. Les signataires ont réaffirmé leur soutien indéfectible à la CPI et ont souligné que la Cour joue un rôle essentiel dans la lutte contre le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. Ils ont appelé tous les États à assurer une coopération pleine et entière avec la CPI afin de respecter le droit international.

Le délégué du Guatemala a remercié la Rapporteuse spéciale pour son travail sur les droits des peuples autochtones et a souligné les initiatives nationales visant à promouvoir le pluralisme juridique, telles que le Bureau du défenseur public autochtone et le Bureau de la défense des femmes. Le représentant a reconnu la récente visite de la Rapporteuse spéciale au Guatemala et son engagement avec la société civile, les institutions de l’État et les communautés autochtones. Le pays a réitéré son engagement en faveur de l’indépendance judiciaire et de la lutte contre la criminalisation des opérateurs de justice et des défenseurs des droits humains, en s’engageant à poursuivre le dialogue avec le mandat. 

Le représentant de la Colombie a également exprimé son inquiétude face à la persécution politique et aux mandats d’arrêt émis contre des opérateurs de justice au Guatemala, exhortant la Rapporteuse spéciale à effectuer un suivi et à veiller à leur protection.

De nombreux pays ont réaffirmé l’importance des droits des peuples autochtones à maintenir et développer leurs propres systèmes de justice.

La représentante du Canada a, par exemple, souligné l’exclusion historique des traditions juridiques autochtones en raison des systèmes coloniaux et a mis en avant les efforts visant à intégrer les systèmes de justice autochtones et non autochtones. Elle a mentionné les initiatives récentes visant à combiner ces mécanismes, notamment par une meilleure formation du personnel du système judiciaire et l’allocation de financements pour des réformes dirigées par les communautés autochtones.

Le représentant du Malawi, s’alignant sur le Groupe africain, a reconnu le rôle central des mécanismes de justice coutumière dans les zones rurales, malgré l’absence de peuples autochtones légalement reconnus. Il a souligné la nécessité d’aligner les mécanismes traditionnels sur les normes constitutionnelles et internationales en matière de droits de l’homme, en particulier concernant l’égalité de genre et les groupes marginalisés. Le pays entreprend des réformes juridiques visant à intégrer le droit coutumier et le droit statutaire, et a accueilli favorablement les orientations sur la protection des droits au sein des systèmes judiciaires pluriels.

Le représentant de l’Argentine a réaffirmé l’engagement constitutionnel de son pays en faveur de l’égalité devant la loi et des droits des peuples autochtones. Il a reconnu leur préexistence et a affirmé leur pleine citoyenneté, notamment l’accès à la justice sans discrimination. La délégation a souligné les mécanismes visant à garantir l’accessibilité linguistique et culturelle au sein du système judiciaire et a insisté sur le fait que les peuples autochtones jouissent des mêmes droits et responsabilités que tous les citoyens.

Le délégué de la Chine a souligné que la réforme judiciaire et l’État de droit sont essentiels pour la protection des droits humains. Il a présenté les initiatives nationales visant à protéger l’indépendance des juges et des avocats, notamment un mécanisme inter-agences destiné à prévenir les ingérences et à soutenir les professionnels du droit. Le représentant a appelé la communauté internationale à adopter des mesures consensuelles pour soutenir les systèmes juridiques des peuples autochtones.

Le représentant de la Pologne s’est aligné sur l’UE et a condamné la répression des avocats en Biélorussie. Soulignant que l’indépendance judiciaire est le fondement de la démocratie, la Pologne a présenté ses efforts nationaux et internationaux pour défendre ce principe, notamment la signature de la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des avocats. Elle a proposé une future collaboration entre la Rapporteuse spéciale et un groupe d’experts du Conseil de l’Europe à venir.

Le délégué de l’Ukraine a souligné la persécution systémique en Crimée occupée, où les avocats tatares de Crimée et les défenseurs des droits humains font face à la répression, à des procès simulés et à des radiations du barreau. La délégation a qualifié cela de violation directe des principes de l’ONU concernant le rôle des avocats et a exhorté le Conseil à soutenir la réintégration des avocats radiés et à renforcer le suivi indépendant dans les territoires occupés.

Le représentant de la Russie a déclaré que sa Constitution garantit l’égalité des droits judiciaires pour les peuples autochtones, y compris l’accès aux tribunaux et la protection juridique des terres traditionnelles. Il a affirmé que les individus autochtones jouissent de droits complets dans les procédures judiciaires et que les membres des communautés peuvent participer aux instances judiciaires. Le représentant a souligné que la Russie veille à ce que les droits des peuples autochtones soient pris en compte par les mécanismes juridiques nationaux.

Le représentant des îles Marshall a fortement soutenu le droit des peuples autochtones à administrer la justice selon leurs lois et coutumes ancestrales. Il a souligné que la tenure foncière constitue un domaine clé où le droit coutumier joue un rôle central et a appelé la communauté internationale à respecter et à reconnaître la juridiction des institutions juridiques autochtones. Il a également exhorté les États à s’abstenir de criminaliser les pratiques juridiques autochtones.

Le délégué du Soudan a annoncé la création de tribunaux ruraux présidés par des chefs de communauté disposant d’une pleine autorité judiciaire. Ces tribunaux appliquent le droit coutumier et sont supervisés par des juridictions supérieures afin de garantir l’équité. Le délégué a décrit ce cadre pluraliste comme un outil efficace pour prévenir les conflits et promouvoir la justice transitionnelle au sein de sa société diversifiée.

La représentante du Mexique a réaffirmé son engagement constitutionnel envers le caractère pluriethnique et multiculturel de l’État, en reconnaissant le droit des peuples autochtones à l’autodétermination et à disposer de leurs propres systèmes juridiques. La représentante a soutenu la coordination judiciaire entre les juridictions étatiques et autochtones, et a insisté sur la nécessité de réformes structurelles pour renforcer la confiance dans les systèmes juridiques et garantir l’indépendance ainsi que la responsabilité.

Déclarations des ONG

Les ONG ont offert des perspectives variées sur l’état de l’indépendance judiciaire dans le monde. Certaines organisations ont défendu les systèmes existants, en affirmant par exemple que la justice à Hong Kong reste indépendante et que les sanctions étrangères, notamment américaines, ne sont pas justifiées. D’autres ont mis l’accent sur des défis émergents, tels que l’impact potentiel de l’intelligence artificielle sur l’intégrité judiciaire, et ont salué les directives nationales visant à atténuer les risques associés.

Plusieurs ONG ont exprimé leur inquiétude face à la répression systémique dans certains pays, citant les radiations du barreau, détentions et disparitions de défenseurs des droits humains, notamment en Chine. Les représentants ont également attiré l’attention sur la criminalisation continue des acteurs de la justice autochtone au Chili et au Guatemala, appelant à des réformes structurelles et à la reconnaissance juridique des systèmes coutumiers. Les ONG ont exprimé leur préoccupation concernant le licenciement de juges aux Maldives et la politisation des procédures disciplinaires en Tunisie, soulignant l’érosion des garanties d’un procès équitable. Une organisation a critiqué un accord bilatéral entre les États-Unis et le Salvador qui permet la détention extrajudiciaire de migrants sans accès à un avocat. D’autres ont condamné les sanctions américaines contre des responsables de la Cour pénale internationale, avertissant que de telles actions compromettent l’indépendance des mécanismes de justice internationale. Collectivement, les ONG ont appelé à des protections renforcées pour les professionnels du droit, à la reconnaissance des systèmes de justice autochtones et à la protection du droit à un procès équitable dans toutes les juridictions.

Remarques de clôture de la Rapporteuse spéciale

Dans sa déclaration de clôture, la Rapporteuse spéciale a souligné trois points clés :

  • Déscriminalisation des autorités autochtones : Elle a fermement condamné la criminalisation des dirigeants autochtones, en particulier au Guatemala, où les autorités ont été visées simplement pour l’exercice de leurs fonctions traditionnelles.
  • Reconnaissance formelle : Elle a salué les avancées constitutionnelles du Chili et a appelé à la reconnaissance formelle des systèmes de justice autochtones comme coexistants et égaux aux institutions juridiques ordinaires. Elle a insisté sur la nécessité de mécanismes permettant la coordination entre les deux systèmes, sur la base de l’égalité et du respect mutuel.
  • Finalité plus large du mandat : La Rapporteuse a précisé que défendre l’indépendance des acteurs de la justice ne vise pas seulement à protéger les professionnels, mais aussi à préserver l’État de droit et l’accès égal à la justice pour tous. Elle a mis en garde contre une répression mondiale des acteurs judiciaires indépendants et a exhorté tous les États à prendre des mesures sérieuses et coordonnées pour inverser cette tendance.

Position du Geneva International Centre for Justice (GICJ)

Le Geneva International Centre for Justice (GICJ) salue le travail important de la Rapporteuse spéciale sur l’indépendance des juges et des avocats et soutient les recommandations visant à renforcer l’accès à la justice pour tous, en particulier pour les communautés marginalisées. Le GICJ reste profondément préoccupé par l’érosion mondiale de l’indépendance judiciaire, souvent manifeste par des ingérences directes ou indirectes, l’utilisation abusive des systèmes juridiques pour réprimer les dissidents et la ciblage des professionnels du droit qui défendent les droits humains. Ces évolutions compromettent non seulement l’État de droit, mais perpétuent également la discrimination systémique. Le GICJ exhorte tous les États à adopter des mesures structurelles pour protéger les juges et les avocats, garantir des systèmes d’aide juridique équitables et inclusifs, et éliminer les obstacles liés au genre, à l’origine ethnique ou au statut socio-économique. La justice doit être impartiale, accessible et protégée contre les manipulations politiques afin de servir de fondement à la dignité humaine et à la responsabilité. L’accès à la justice n’est pas un privilège : c’est un droit qui doit être assuré de manière égale pour tous.

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