Clôture du procès Al Hassan, ©ICC-CPI 

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Un pas vers la responsabilité en Libye : l’arrestation d’El Hishri

Par Astrid Bochnakian / GICJ 

Le 16 juillet 2025, la police allemande a arrêté le ressortissant libyen Khaled Mohamed Ali El Hishri à l’aéroport de Berlin-Brandebourg. Cette arrestation a été effectuée sur la base d’un mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale (CPI) le 10 juillet 2025, conformément aux obligations de l’Allemagne en tant qu’État partie au Statut de Rome. Également connu sous le nom d’« Al Buti », M. Hishri a été placé en détention en Allemagne dans le cadre de la coopération de la République fédérale avec la CPI.

Contexte de la situation en Libye devant la CPI

M. Hishri aurait occupé le poste de plus haut responsable de la prison de Mitiga, un centre de détention situé près de Tripoli, en Libye [1], où des milliers de personnes auraient été détenues pendant de longues périodes. En cette qualité, il est soupçonné d’avoir commis, ordonné et supervisé des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, notamment des meurtres, des actes de torture et des violences sexuelles, entre février 2015 et début 2020. Il aurait également été membre de la Force Rada, une unité de police militaire placée sous l’autorité du Conseil présidentiel libyen, reconnu internationalement comme le gouvernement légitime de la Libye depuis 2016.

La situation en Libye a été déférée à la CPI par le Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU) en février 2011 [2], au titre de l’article 13(b) du Statut de Rome, la Libye n’étant pas un État partie. Le CSNU a justifié ce renvoi en invoquant la « violence et l’usage de la force contre les civils » ainsi que les « violations graves et systématiques des droits humains, y compris la répression de manifestations pacifiques », dès les premiers jours des protestations contre le régime de Kadhafi. Ces manifestations se sont intensifiées face à la répression exercée par les forces gouvernementales, déclenchant des soulèvements qui ont conduit à la chute du régime de Kadhafi en octobre 2011.

En mars 2011, la CPI a ouvert son enquête sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre présumés commis dans le contexte de la situation en Libye depuis le 15 février 2011 [4]. Depuis, elle a émis 12 mandats d’arrêt, notamment contre Mouammar Kadhafi, son fils Saïf al-Islam Kadhafi, ainsi que plusieurs hauts responsables militaires, dont M. Hishri. En mai 2025, la Libye a accepté la compétence de la Cour jusqu’en 2027, conformément à l’article 12(3) du Statut de Rome, permettant ainsi l’enquête et la poursuite d’individus pour crimes internationaux commis par des ressortissants libyens, contre des ressortissants libyens ou sur le territoire libyen depuis le 15 février 2011. Début juillet 2025, huit suspects faisant l’objet d’un mandat d’arrêt étaient encore en fuite.

Déclaration du procureur de la CPI Karim Khan au Conseil de sécurité des Nations Unies

sur la situation en Libye, mai 2025

© UN Photo/Manuel Elías, Source de l’image : https://www.icc-cpi.int/news 

L’impact de l’arrestation de El Hishri

L’arrestation de M. Hishri constitue une étape importante dans les efforts de la Cour pour garantir la responsabilité des crimes de guerre et crimes contre l’humanité en Libye. Bien que la plupart des suspects soient toujours en fuite, ce développement montre que la coopération entre la CPI et les États parties peut donner des résultats concrets. À une époque où la CPI fait face à des critiques croissantes et à des pressions politiques, y compris de la part d’États parties [6], le respect des obligations du Statut de Rome est essentiel pour préserver la capacité de la Cour à remplir son rôle et à rendre justice pour les crimes internationaux relevant de sa compétence.

Pourquoi l’exécution des mandats d’arrêt de la CPI est essentielle

L’arrestation de M. Hishri intervient à un moment où plusieurs États refusent d’exécuter les mandats d’arrêt de la CPI. Bien que les 125 États parties au Statut de Rome soient tenus de coopérer avec la Cour et d’exécuter ses mandats, plusieurs ont récemment refusé de le faire, notamment dans les affaires visant le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et le Président russe Vladimir Poutine. Certains États, dont la Hongrie, la France et la Mongolie, ont invoqué l’immunité des chefs d’État et des motifs d’intérêt politique pour justifier leur non-coopération. D’autres ont invoqué des obstacles liés à leur législation nationale pour éviter d’appliquer les mandats. C’est le dans le cas de l’Italie concnernant Osama Elsmary Njeem, un autre suspect dans la situation en Libye : M. Njeem a été arrêté en janvier en Italie puis libéré début février 2025 en raison « d’erreurs et d’inexactitudes » dans le mandat de la CPI. Il avait également été qualifié de « menace à la sécurité nationale » par le ministre italien de l’Intérieur, Matteo Piantedosi [4]. En tant que haut responsable de la prison de Mitiga et chef de la police judiciaire libyenne, M. Njeem est suspecté  d’avoir commis des crimes de guerre et crimes contre l’humanité, notamment de meurtres, de viols et des actes de torture, dans ce centre de détention à partir de février 2015 [5].

La CPI est également critiquée pour un prétendu double standard, notamment en poursuivant de manière disproportionnée des suspects africains, ainsi que pour empiéter sur la souveraineté des États parties lorsqu’elle enquête sur des crimes internationaux commis sur leur territoire, par ou contre leurs ressortissants, et en poursuivant les responsables. Il est essentiel de rappeler que la CPI n’a de juridiction que lorsqu’un État partie est dans l’incapacité ou refuse de poursuivre les individus soupçonnés d’avoir ordonné, facilité ou commis des crimes internationaux, à condition que ces individus soient ressortissants de cet État, aient commis des crimes contre ses ressortissants, ou sur son territoire. La CPI n’est donc compétente que pour garantir que ceux qui ne peuvent pas ou ne sont pas poursuivis par les États puissent l’être, afin de rendre justice à leurs victimes et de lutter contre l’impunité.

Affaire Ntaganda : la Chambre de Première Instance II rend son ordonnance sur les réparations, ©ICC-CPI

Source de l’image : https://flic.kr/p/2oPt17n 

Le refus d’un État d’exécuter les mandats d’arrêt de la CPI compromet gravement l’efficacité de la Cour pour tenir responsables les auteurs de crimes internationaux, contribue à l’impunité et, à terme, affaiblit l’État de droit à l’échelle mondiale.

La CPI et la lutte contre le génocide en Palestine

Le refus des États d’exécuter les mandats d’arrêt de la CPI dans la situation de l’État de Palestine affaiblit encore davantage la réponse internationale face aux atrocités actuellement commises à Gaza, y compris le génocide en cours. Alors que la CPI a émis des mandats contre Netanyahou et l’ancien ministre de la Défense Yoav Gallant pour « crimes de guerre consistant à utiliser la famine comme méthode de guerre et à diriger intentionnellement une attaque contre une population civile », ainsi que pour « crimes contre l’humanité de meurtre, de persécution et autres actes inhumains » [7], l’ampleur et la gravité des atrocités dans la bande de Gaza exigent que la Cour examine également l’accusation de génocide. Avec plus de 60 000 civils tués [8], des destructions massives, ainsi qu’un blocus prolongé et la militarisation de l’aide humanitaire, contribuant à une famine de masse déjà identifiée comme une arme de guerre, ces actes constituent de graves violations du droit international, y compris des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Pris ensemble, ils traduisent une politique génocidaire, marquée par l’intention de détruire, en tout ou en partie, le peuple palestinien de Gaza. Comme indiqué à l’article 5 du Statut de Rome, le génocide relève de la compétence de la CPI. La capacité de la Cour à traiter ces crimes est essentielle non seulement pour garantir la responsabilité et rendre justice aux victimes, mais aussi pour remplir son mandat de prévention du génocide.

Le Centre international pour la justice de Genève (GICJ) salue cette arrestation, qui est une étape vers la responsabilisation. Le GICJ appelle tous les États parties au Statut de Rome à coopérer avec la CPI et à contribuer à ses efforts en faveur de la justice en Libye, notamment en exécutant les sept autres mandats publics liés à la situation en Libye. Alors que l’Allemagne prépare la remise de M. Hishri à la CPI et que des procédures nationales sont en cours, le GICJ souligne la nécessité de respecter le droit à une procédure équitable. Le GICJ appelle également la Libye à prolonger son admission de la compétence de la CPI au-delà de 2027 afin que tous les suspects puissent être arrêtés et poursuivis. Enfin, le GICJ appelle tous les États parties à exécuter les mandats d’arrêt émis dans le cadre de la situation de l’État de Palestine, afin de mettre fin aux atrocités en cours dans la bande de Gaza et de contribuer à mettre un terme à ce génocide.

Lire l'article en anglais.

 [1] Situation in Libya: Khaled Mohamed Ali El Hishri arrested for alleged crimes against humanity and war crimes

[2] Libyan war crimes suspect arrested in Germany under ICC warrant

[3] Situation en Libye - CPI

 [4] Libyan war crimes suspect freed because of errors in warrant, Italy says

 [5] Situation in Libya: ICC arrest warrant against Osama Elmasry Njeem for alleged crimes against humanity and war crimes

 [6] La campagne de pressions contre la CPI pour annuler le mandat d’arrêt contre Benyamin Nétanyahou

[7] Situation dans l'État de Palestine - CPI

[8] Over 60,000 Palestinians have died in the Israel-Hamas war, Gaza’s Health Ministry says

 

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