Point de non-retour : famine, déplacement forcé et instrumentalisation de l’aide humanitaire 

 

Introduction 

Du fait de la famine infligée, la situation humanitaire à Gaza a atteint un niveau de gravité sans précédent. En raison de l’embargo imposé par Israël, nous avons été témoins de familles désespérées de pouvoir accéder à l’aide alimentaire pour nourrir leurs enfants affamés, affrontant une violence meurtrière, avec des rapports faisant état de personnes abattues et tuées. Il convient de noter que les responsables israéliens ont déclaré ouvertement, immédiatement après les événements du 7 octobre 2023, leur intention de suspendre toute aide et tout approvisionnement à la population palestinienne, intensifiant ainsi un blocus de longue date en place depuis 2016. Bien qu’une autorisation limitée d’acheminer de l’aide à Gaza ait été accordée au 27 juillet 2025, la quantité d’aide autorisée dans la bande est gravement insuffisante et bien en deçà de ce qui est nécessaire pour soutenir les efforts de secours de l’ONU ou répondre aux besoins urgents des 2,1 millions d’habitants de Gaza.

La principale préoccupation ne réside pas seulement dans l’aide elle-même, mais aussi dans les conditions dangereuses entourant sa distribution ; les convois humanitaires sont de plus en plus vulnérables aux attaques, y compris à des tirs près des points de distribution de l’aide. À cette crise s’ajoutent de graves pénuries de carburant qui menacent de plonger les services essentiels dans l’obscurité, les stocks actuels étant loin d’être suffisants pour maintenir les opérations vitales. Bien que des quantités limitées de carburant aient été autorisées dans certaines parties de Gaza depuis le 9 juillet 2025, ces volumes restent largement insuffisants pour éviter l’effondrement des services essentiels.

OCHA 29/7/2025

Blocage de l’aide humanitaire

L’embargo sévère imposé aux civils de Gaza a atteint un niveau catastrophique, la population étant au bord de la famine en juillet 2025. Le 19 mai 2025, les livraisons d’aide ont repris de manière limitée, mais entre cette date et le 14 juillet 2025, seuls 1 633 camions ont pu entrer à Gaza via les points de passage de Kerem Shalom et Zikim, soit seulement 62 % des 2 600 camions soumis aux autorités israéliennes, et 74 % de ceux approuvés. Le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) continue de signaler des niveaux alarmants de malnutrition, en particulier chez les femmes et les enfants. Près de 100 000 femmes et enfants souffrent de malnutrition aiguë sévère et ont un besoin urgent de traitement. Au 15 juillet 2025, l’OCHA a confirmé qu’environ 6 000 chargements de fournitures humanitaires, y compris de la nourriture, des médicaments et d’autres produits essentiels, attendaient toujours l’autorisation d’entrer à Gaza.

Malgré cela, les partenaires humanitaires ont réussi à livrer une partie de l’aide critique : au 16 juillet, environ 1 600 camions locaux ont distribué des produits essentiels comme de la farine de blé, des fournitures médicales et d’hygiène, ainsi que de l’eau potable. Ils ont également soutenu 84 cuisines communautaires servant 260 000 repas par jour, fourni 17 000 m³ d’eau potable via 1 300 points de distribution, et déployé 21 équipes médicales d’urgence qui ont assuré des centaines de consultations hebdomadaires pour les femmes et les filles.

Ces efforts restent pourtant largement insuffisants face à l’ampleur des besoins. Le 17 juillet, un peu plus de la moitié des demandes de coordination humanitaire soumises aux autorités israéliennes ont été acceptées, permettant des livraisons limitées d’eau, de carburant, de produits d’hygiène et de matériel médical, tandis que six missions ont été refusées ou entravées. Le 21 juillet 2025, plus d’une douzaine de personnes seraient mortes de faim en l’espace de 24 heures.

Pendant ce temps, les déplacements humanitaires restent sévèrement restreints : les convois du Programme alimentaire mondial sont confrontés à des foules désespérées et à de graves problèmes logistiques, notamment des routes endommagées, des hostilités armées, des retards aux checkpoints et des interférences de groupes criminels.

Déplacements forcés

Alors que l’accès aux produits de première nécessité devient de plus en plus limité, la multiplication des ordres de déplacement aggrave encore la crise. Entre le 15 et le 17 juillet 2025, le déplacement total de la population palestinienne a atteint plus de 737 000 civils, soit 37 % de la population. Ces ordres continuent d’arracher les familles à leurs foyers, les forçant à se réfugier dans des zones surpeuplées et dangereuses. Beaucoup d’abris improvisés n’ont ni infrastructures adaptées ni personnel qualifié pour gérer une crise d’une telle ampleur. Les conditions se sont tellement détériorées que même les services de base — abri, nourriture, eau et soins médicaux — sont poussés à bout.

OCHA 14/7/2025

Gaza Humanitarian Foundation

Créée en février 2025, la Gaza Humanitarian Foundation (GHF) est une organisation basée aux États-Unis et soutenue par le gouvernement israélien, qui vise à livrer de l’aide humanitaire à Gaza. Les sites établis par la GHF ont été critiqués pour leur mauvaise gestion, le personnel manquant de formation et d’expérience pour mener des opérations d’une telle ampleur. Cette préparation inadéquate a contribué à la détérioration des conditions pour ceux qui cherchent refuge.

De plus, de graves inquiétudes ont été exprimées concernant l’usage excessif et indiscriminé de la force contre des civils non armés et affamés dans ces zones. Des rapports indiquent que des obus d’artillerie sont tombés près du couloir de sécurité israélien, le Morag Corridor, tandis que des tirs de mortiers ont été effectués pour contrôler les mouvements de personnes vers le corridor sud. Ces actions, impliquant à la fois des soldats de l’armée israélienne et la GHF, ont soulevé de vives préoccupations quant à la protection et à la sécurité des Palestiniens déplacés.

Plus de 1 300 personnes affamées ont été tuées ou blessées alors qu’elles tentaient d’accéder à l’aide. Des témoignages et preuves visuelles confirment l’absence de sécurité et d’organisation sur place. L’accès à l’aide est devenu une épreuve périlleuse pour les civils : la GHF a remplacé un système plus large dirigé par l’ONU, qui comptait plus de 400 centres, par de nouveaux sites situés dans des zones d’évacuation, souvent ouverts seulement quelques minutes à la fois. Les Palestiniens affamés doivent ainsi risquer leur vie en traversant des couloirs dangereux surveillés par des chars, des drones et des forces armées.

Les récits décrivent des trajets nocturnes, la désespérance liée à la faim, et l’exposition fréquente à des tirs réels. Beaucoup repartent les mains vides malgré de multiples tentatives, et plus d’un millier de personnes sont mortes depuis mai 2025 en essayant de récupérer des rations alimentaires de base.

Cet environnement, censé offrir une aide vitale, est devenu un parcours mortel, à la fois physiquement et psychologiquement traumatisant pour ceux qui subissent l’effondrement humanitaire de Gaza. Au lieu de créer un système parallèle, soutenir les agences de l’ONU déjà en place aurait permis une aide plus efficace, plus sûre et mieux coordonnée.

OCHA 30/4/2025

Pénurie critique de carburant menaçant les opérations humanitaires

Le carburant est la bouée de sauvetage qui maintient les services de base à Gaza : il alimente les hôpitaux, les réseaux d’eau, les systèmes d’assainissement, les ambulances et l’ensemble des opérations humanitaires. Sans accès adéquat au carburant, les agences de l’ONU sont contraintes d’interrompre leurs interventions faute de ressources.

Le 9 juillet 2025, Gaza a reçu sa première livraison de 75 000 litres de carburant en 130 jours. Les autorités israéliennes ont accepté de laisser entrer deux camions de carburant par jour, cinq jours par semaine, via le point de passage de Kerem Shalom. Bien que cela représente une amélioration pour les opérations vitales, se pose aussi le problème de son stockage et de son transport sécurisés.

Depuis la reprise des livraisons, les volumes restent limités : en une semaine, l’ONU a pu livrer un peu plus de 600 000 litres de diesel et 35 000 litres de benzène, indispensables. Mais ce volume est restreint par l’autorisation donnée à seulement 14 camions de passer pendant cette période, soit en moyenne 55 000 litres par jour, même avec la fermeture du point de passage le week-end.

Le processus d’accès au carburant à Kerem Shalom est extrêmement difficile et dangereux. Côté israélien, le carburant est d’abord transféré dans un oléoduc souterrain. Côté Gaza, les camions palestiniens doivent traverser une zone hautement sécurisée et militarisée, ce qui n’est autorisé que lorsque les autorités israéliennes interrompent temporairement leurs opérations militaires et délivrent une brève fenêtre d’autorisation. Ces créneaux courts et imprévisibles rendent les opérations dangereuses et peu fiables, causant de graves interruptions dans la livraison.

L’ONU et ses partenaires soulignent le besoin urgent de centaines de milliers de litres de carburant chaque jour pour maintenir les opérations vitales. Malgré ces difficultés, la semaine du 10 juillet a vu l’arrivée de certains envois médicaux : 238 palettes, dont 10 palettes de la chaîne du froid contenant près de 1 400 unités de sang et plus de 1 500 doses de plasma, de quoi couvrir les besoins urgents pour environ dix jours.

Dans son rapport du 15 juillet, l’OCHA affirme : « L’ONU et ses partenaires humanitaires ont besoin de centaines de milliers de litres de carburant chaque jour pour maintenir en vie et soutenir les opérations essentielles. »

Les hôpitaux de Gaza continuent de fonctionner sous une pression extrême, peinant à faire face au nombre croissant de blessés tout en subissant une grave pénurie de carburant pour alimenter les générateurs. Des établissements comme le centre médical Nasser fonctionnent à plus de 300 % de leur capacité, avec des conditions si critiques que jusqu’à cinq bébés doivent partager une seule couveuse. Sans approvisionnement régulier, ces hôpitaux risquent de fermer, mettant en danger la vie de dizaines de patients sous respirateur ou en couveuse.

De plus, la fermeture de plusieurs puits d’eau faute de carburant soulève des inquiétudes quant à la propagation de maladies comme la méningite, la maladie pied-main-bouche aiguë et la diarrhée sanglante. Le manque de fournitures médicales essentielles aggrave encore la crise sanitaire : seuls 63 des 170 centres de santé sont opérationnels, et environ 70 % des médicaments vitaux sont indisponibles.

Femmes et enfants

Les femmes et les enfants continuent de porter le plus lourd fardeau de la catastrophe humanitaire qui se déroule à Gaza. La destruction des infrastructures, en particulier des hôpitaux, a laissé 150 000 femmes enceintes et allaitantes sans accès à des soins médicaux. Ces actions peuvent être qualifiées de féminicide génocidaire (femi-genocide, ONU-HCHR). Alors que des nourrissons naissent prématurément et meurent peu après leur naissance, le gouvernement israélien bloque l’entrée de lait maternisé. D’autres bébés naissent avec des mutations génétiques inédites, probablement liées à une famine prolongée, à des traumatismes sévères et à l’exposition à des substances toxiques et potentiellement radioactives. Plus de 5 800 garçons et filles sont diagnostiqués comme souffrant de malnutrition dans les hôpitaux.

Les mères palestiniennes sont contraintes de voir leurs enfants endurer la faim, les blessures, et même la mort, une forme inimaginable de traumatisme psychologique. L’absence d’aide humanitaire a également entraîné une surpopulation, contribuant à une augmentation alarmante des violences sexuelles, des violences conjugales et d’autres formes d’abus. Rien qu’en 2025, 56 % des demandes d’entrée refusées concernaient des équipes médicales d’urgence, entravant gravement la capacité à fournir des soins vitaux. Pour le quatrième mois consécutif, les taux de malnutrition sévère chez les enfants continuent d’augmenter, soulignant l’aggravation de la crise et l’impact dévastateur sur les plus vulnérables de Gaza (UNICEF).

OCHA; Photo: PRCS 17/7/2025

Éducation et écoles

Depuis six mois, toutes les écoles de Gaza sont restées fermées, laissant 625 000 élèves sans accès à l’éducation. Depuis le début des hostilités, des milliers d’élèves ont été tués ou blessés, et 87,7 % des bâtiments scolaires ont été détruits. Au 9 juillet, les partenaires de l’ONU ont commencé à préparer les élèves aux examens généraux de fin d’études secondaires en leur proposant des cours préparatoires, apportant ainsi une lueur d’espoir au milieu de la dévastation. Entre octobre 2023 et juin 2025, 626 structures d’apprentissage temporaires ont été mises en place. Parmi elles, seules 299 étaient opérationnelles au 10 juillet, en raison des ordres de déplacement en cours.

Conclusion

La catastrophe humanitaire qui se déroule à Gaza n’est pas seulement un échec moral, c’est aussi un échec juridique. En vertu du droit international humanitaire, le gouvernement israélien est tenu de protéger les civils, de faciliter l’aide humanitaire et de respecter les principes de proportionnalité et de distinction. En tant que membres de la communauté internationale, nous devons nous tenir mutuellement responsables de ces normes, sans exception ni calcul politique. Les civils doivent être protégés où qu’ils se trouvent, les travailleurs humanitaires doivent être mis à l’abri, et l’aide doit pouvoir circuler à grande échelle.

À la mi-juillet 2025, le Groupe de la Haye a convoqué une réunion ministérielle d’urgence à Bogotá, organisée par la Colombie et coprésidée avec l’Afrique du Sud, où plus de 30 pays se sont réunis pour coordonner une action juridique et diplomatique en réponse à ce que beaucoup ont qualifié de politique de punition collective et de potentiel génocide à Gaza. Plusieurs États ont pris des engagements concrets — allant d’embargos sur les armes et de restrictions commerciales au soutien des décisions des tribunaux internationaux — afin de garantir la responsabilité et de défendre l’ordre juridique mondial.

Ces évolutions envoient un signal clair : l’impunité doit cesser. Les États ayant ratifié le Statut de Rome et membres de la Cour pénale internationale (CPI) ont l’obligation juridique de faire appliquer ses décisions, y compris les mandats d’arrêt émis à l’encontre de personnes accusées de crimes de guerre. Le fait que des individus inculpés puissent continuer à voyager librement malgré un mandat d’arrêt de la CPI est inacceptable. Nous ne devons pas accepter un monde où les travailleurs humanitaires sont pris pour cible, où les enfants sont affamés délibérément, et où les institutions juridiques sont ignorées lorsqu’elles dérangent politiquement. Le droit international exige la protection des civils, la libre circulation de l’aide, et la responsabilité de ceux qui violent ces principes, quelle que soit leur position ou leur pouvoir.

Le Geneva International Centre for Justice (GICJ) condamne fermement l’entrave à l’aide humanitaire, l’utilisation de la famine comme arme de guerre, et les violations persistantes du droit international humanitaire à Gaza. Nous exhortons la communauté internationale, y compris les États membres de l’ONU, l’Union européenne et les États parties à la CPI, à respecter leurs obligations juridiques en soutenant l’exécution des mandats d’arrêt de la CPI et en veillant au respect des décisions de la CIJ. Le refus délibéré de fournir nourriture, eau et médicaments à une population assiégée n’est pas seulement un crime de guerre ; c’est un outil de génocide. Comme l’a clairement affirmé le Rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l’homme dans le territoire palestinien, la famine est utilisée comme une méthode de guerre calculée, visant à effacer les conditions de vie nécessaires à la survie. « Ce n’est pas un avertissement, c’est un appel à l’action » (Programme alimentaire mondial).

Lire l’article en anglais et en arabe. 

Sources

https://www.unocha.org  

https://www.ohchr.org/en/ohchr_homepage  

https://www.wfp.org  

https://www.who.int  

https://www.unicef.fr 


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