La CIJ conclut les audiences sur les obligations d’Israël envers l’ONU et ses activités dans les territoires palestiniens occupés 

Traduit par Hind Raad Gathwan / GICJ

Le 2 mai 2025, la Cour internationale de Justice (CIJ) a conclu ses audiences publiques concernant la demande d’avis consultatif de l’Assemblée générale des Nations Unies sur les obligations d’Israël en lien avec la présence et les activités des Nations Unies, d’autres organisations internationales et d’États tiers dans, et en relation avec, le territoire palestinien occupé.Au cours d’une semaine d’audiences, 39 représentants d’États, y compris celui de l’État de Palestine, ont présenté leurs déclarations orales devant la Cour.

Par la résolution A/79, l’Assemblée générale des Nations Unies a sollicité l’avis de la Cour sur les obligations juridiques d’Israël en tant qu’État membre de l’ONU et en tant que puissance occupante, après que le corps législatif israélien, la Knesset, a promulgué deux lois le 28 octobre 2024 visant à mettre fin aux activités et à la présence de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA), l’organe subsidiaire de l’Assemblée générale chargé du développement humain et de l’aide humanitaire pour plus de 6 millions de réfugiés palestiniens.Par ailleurs, plus de 480 travailleurs humanitaires ont été tués depuis octobre 2023, dont 290 agents de l’UNRWA.

Face à la catastrophe humanitaire dramatique qui se déroule à Gaza, aggravée par la suspension totale de l’acheminement et de la circulation de l’aide humanitaire depuis le début du mois de mars 2025, la grande majorité des 39 représentants d’États ayant comparu devant la Cour ont accusé Israël d’avoir violé de manière flagrante ses obligations, tant en tant qu’État membre de l’ONU qu’en tant que puissance occupante.

En ce qui concerne son statut d’État membre de l’ONU, les États qui ont pris la parole à La Haye – notamment l’Égypte, la France, l’Espagne, le Brésil, l’Afrique du Sud, le Qatar, la Chine et d’autres – ont accusé Israël de violer à la fois la Charte des Nations Unies et la Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies de 1946, à laquelle Israël a adhéré en 1949. Concrètement, Israël est accusé d’enfreindre son obligation, en vertu de l’article 2.5 de la Charte, d’apporter toute l’assistance nécessaire à l’Organisation dans ses actions, ainsi qu’à ses organes subsidiaires, notamment l’UNRWA, et d’agir de bonne foi. À ce titre, ces États ont rappelé à la Cour l’illégalité de la résiliation unilatérale par Israël de sa coopération avec l’UNRWA, une décision qui ne peut être prise que par l’Assemblée générale.

La Convention de 1946, quant à elle, garantit l’inviolabilité et l’immunité des locaux, biens, avoirs et personnels des Nations Unies contre toute perquisition, réquisition, confiscation, expropriation ou toute autre forme d’ingérence, qu’elle soit d’ordre exécutif, judiciaire, législatif ou administratif. Selon les États intervenants, les actes d’Israël – y compris les attaques délibérées, les détentions arbitraires et les actes de torture à l’encontre du personnel humanitaire et onusien, l’assiègement des écoles et centres de l’UNRWA, ainsi que les restrictions imposées aux prestataires d’aide – constituent des violations manifestes de ces obligations.

En tant que puissance occupante, la conduite d’Israël a été jugée par de nombreux pays comme enfreignant ses obligations issues de plusieurs instruments juridiques, notamment la Quatrième Convention de Genève de 1949 (CG4) et son Protocole additionnel I, les Règlements de La Haye de 1907, ainsi que d’autres normes du droit international coutumier. En résumé, Israël a été accusé de ne pas avoir respecté son devoir de :

  • garantir la fourniture de vivres et de fournitures médicales à la population civile occupée (article 55 de la CG4),
  • accepter et faciliter les opérations de secours (comprenant notamment des vivres, fournitures médicales et vêtements) au bénéfice de la population occupée insuffisamment approvisionnée, et en permettre le libre passage et la protection (article 59 de la CG4).

En outre, les délégations ont souligné l’illégalité de la présence d’Israël dans les territoires palestiniens occupés, comme établi par l’avis consultatif de la Cour de juillet 2024, et l’interdiction pour Israël d’exercer toute forme de souveraineté sur ces territoires.

Tenant compte de ces obligations et interdictions, plusieurs représentants ont dénoncé les deux lois adoptées par la Knesset empêchant la présence et les activités de l’UNRWA dans les TPO comme étant contraires au droit international, en soulignant que l’UNRWA constitue l’épine dorsale de l’aide humanitaire à Gaza et qu’aucun autre acteur ne peut se substituer à elle dans la fourniture de l’aide et des services humanitaires à la population palestinienne. Israël a ainsi été appelé à reprendre contact avec l’UNRWA et à faciliter son travail essentiel dans les TPO, en particulier à Gaza, où 90 % des 2,1 millions d’habitants ont été déplacés et dépendent de l’aide humanitaire pour survivre.

De nombreuses délégations, notamment celles de l’Égypte, du Brésil, de l’Afrique du Sud, de l’Espagne et d’autres encore, ont soutenu que le mépris manifeste par Israël de ses obligations envers l’ONU, les organisations internationales et les États tiers – à la fois en tant que membre de l’ONU et comme puissance occupante – entraîne la privation du droit à l’autodétermination du peuple palestinien. Étant donné le rôle central que joue l’UNRWA dans l’éducation, les soins de santé, l’aide humanitaire, la fourniture de biens publics et la défense du droit au retour des réfugiés palestiniens, l’interdiction de ses activités et la mise en cause de ses biens, avoirs et personnels constituent une atteinte aux droits économiques, sociaux et culturels, au droit au développement, et au droit à être protégé contre les actes visant à disperser la population ou à porter atteinte à son intégrité en tant que peuple. Tous ces éléments sont constitutifs du droit à l’autodétermination, qui est une norme impérative (jus cogens) et une obligation erga omnes.

Malgré le large consensus obtenu tout au long de cette semaine d’audiences, les États-Unis ont exprimé une position différente. Ils ont insisté sur les préoccupations sécuritaires d’Israël, lui reconnaissant une certaine marge d’appréciation dans le choix des acteurs autorisés à fournir l’aide humanitaire. Ils ont également contesté l’idée que l’article 2.5 de la Charte impose une coopération systématique avec l’ONU, arguant que cette disposition ne s’applique qu’aux actions entreprises par le Conseil de sécurité. Ainsi, selon les États-Unis et le Royaume-Uni, en tant qu’organe subsidiaire de l’Assemblée générale, l’UNRWA ne peut imposer à Israël une obligation de coopération contraignante. Enfin, les États-Unis ont exprimé des doutes quant à l’impartialité et à la neutralité de l’UNRWA, estimant que cela dégageait Israël de toute obligation de coopération avec l’agence. Cependant, le conseiller juridique de l’ONU et de nombreux autres États membres ont réaffirmé l’engagement de l’UNRWA envers une politique de tolérance zéro face au manque d’impartialité, soulignant la crédibilité de ses enquêtes sur les allégations d’implication de membres de son personnel dans les attaques du 7 octobre contre Israël, comme l’ont confirmé des rapports indépendants commandés par le Secrétaire général. Indépendamment de ces préoccupations, Israël ne peut en aucun cas mettre fin unilatéralement à sa coopération avec l’UNRWA, cette compétence appartenant exclusivement à l’Assemblée générale.

Geneva International Centre for Justice (GICJ) soutient  la décision de porter cette affaire devant la plus haute juridiction de l’ONU, dans le but d’obtenir un éclaircissement et un jugement neutre que la communauté internationale pourra faire respecter. Dans l’attente de la décision de la Cour, le GICJ appelle à un accès humanitaire urgent, immédiat et sans entrave à Gaza. Vivres, eau, médicaments, carburant, vêtements et énergie sont désespérément nécessaires alors qu’une famine provoquée par l’homme décime la population locale. Il est crucial de rappeler le rôle fondamental que l’UNRWA a joué et continue de jouer dans la défense du droit des Palestiniens à l’alimentation, à l’eau, à la dignité, au développement, au retour, à leurs droits sociaux, économiques, culturels et à leur droit fondamental à l’autodétermination. L’adoption des deux lois d’octobre 2024 empêchant son activité ne constitue pas seulement une attaque contre l’ONU, mais un assaut délibéré contre les droits existentiels du peuple palestinien. Nous appelons donc à un cessez-le-feu permanent, à une solution pacifique du conflit et à la fin de l’occupation israélienne des territoires palestiniens.



GICJ Newsletter