
La Génération Z se soulève partout dans le monde pour défendre ses droits
Par Léa Farge / GICJ
Traduit par Astrid Bochnakian / GICJ
Introduction
Du Maroc au Pérou, la Génération Z du monde entier se mobilise pour défendre ses droits.
Bien que les raisons des manifestations varient en fonction des pays, leurs demandes fondamentales restent similaires: justice sociale, transparence et des opportunités économiques équitables. Unis par une frustration face aux faillites des systèmes économiques pour répondre à la corruption, au changement climatique et aux inégalités, ce qui a plongé une jeunesse éduquée mais au chômage dans un état de désillusion. Cette mobilisation globale souligne le fossé grandissant entre les aspirations de la jeunesse et les opportunités limitées offertes par des élites profondément enracinées.
Le terme “Génération Z” fait référence à celles et ceux nés entre 1990 et 2010, une génération qui n’a jamais connu un monde sans internet. Ils sont, en essence, les enfants de la mondialisation.
Internet comme outils de mobilisation
L’utilisation d’internet pour organiser, coordonner et informer est une caractéristique fondamentale des manifestations de la Génération Z. Des réseaux sociaux comme Tiktok et, plus particulièrement, Discord ont été essentiels pour une mobilisation rapide.
Au Népal, par exemple, après la démission du Premier ministre, la population a suggéré un successeur via Discord. Ce mouvement de la Génération Z illustre par conséquent le potentiel politique des outils numériques, qui sont devenus des outils d’engagement démocratiques et des catalyseurs de changement économique et politique.
Un mouvement de changement politique
Ces manifestations menées par les jeunes ont déjà produit des résultats tangibles dans plusieurs pays, notamment la démission ou la destitution de dirigeants politiques, des remaniements gouvernementaux, ainsi que des promesses d’investissements dans l’éducation et la santé.
Des mouvements connectés à l’échelle mondiale
Au Pérou, au Maroc, à Madagascar et au Népal, un même symbole a émergé : un drapeau noir portant une tête de mort souriante coiffée d’un chapeau de paille, inspiré du manga japonais One Piece. Il s’agit d’une référence à de jeunes pirates luttant contre des gouvernements corrompus. Cet emblème est devenu un symbole unificateur des mouvements mondiaux de la Génération Z, exprimant la lutte commune et la solidarité des révoltes menées par les jeunes à travers le monde.
Les manifestations à Madagascar se sont inspirées du Népal, lui-même influencé par des mouvements antérieurs en Indonésie, soulignant un schéma mondial d’apprentissage intergénérationnel et d’inspiration transfrontalière.

La jeunesse comme acteur historique du changement
Ces mouvements font écho à des mouvements plus anciens menés par la jeunesse, comme Occupy Wall Street (2011), le Printemps arabe (2010-2011) ou encore le Mouvement des Parapluies à Hong Kong (2014). Alors que la Génération Z évolue dans un contexte qui diffère, elle partage la même ambition de transformation systémique, désormais dotée d’outils numériques permettant une mobilisation plus rapide et plus décentralisée.
Un mouvement spontané et décentralisé
Ces manifestations, pourtant massives, ont été largement spontanées et dépourvues de leaders. Leur nature décentralisée reflète l’organisation horizontale qui caractérise l’activisme de la Génération Z. Cette structure constitue à la fois une force et une faiblesse : elle permet une mobilisation rapide et étendue, mais rend plus difficile l’élaboration d’alternatives politiques unifiées.
La plupart de ces mouvements refusent toute affiliation avec des partis politiques ou des syndicats, reflétant une méfiance envers les mécanismes traditionnels de représentation politique.
Des manifestations violemment réprimées
Un point commun tragique de ces manifestations est le degré de répression étatique. Les manifestants pacifistes ont souvent fait face à une violence brutale de la part des forces de sécurité. À travers tous ces pays, des jeunes sont morts alors qu’ils demandaient justice et égalité. Personne ne devrait avoir à risquer sa vie pour exercer le droit de manifester pacifiquement.
Leurs voix doivent être entendues, non pas réduites au silence. Une répression continue ne fera qu’aggraver la colère.
Le mouvement Gen Z 212 au Maroc
Le collectif GenZ 212, nommé d’après l’indicatif téléphonique international du Maroc, est descendu dans la rue pour réclamer davantage d’investissements dans la santé, l’éducation, ainsi qu’une fin à la corruption.En effet, des manifestations ont éclaté après la décision du gouvernement d’investir des milliards dans les infrastructures pour la Coupe du monde de la FIFA 2030 tout en négligeant l’éducation et la santé. Les manifestants scandaient : « Nous ne voulons pas de la Coupe du monde, nous voulons une éducation gratuite et de qualité pour tous.
La mort de plusieurs femmes enceintes dans des hôpitaux publics d’Agadir en août 2025 a déclenché une indignation nationale face à la défaillance du système de santé public, amplifiant la colère populaire
Au même moment, le pays fait face à des salaires stagnants et à une hausse du coût de la vie, alors que le chômage est de 36% parmi les 15-24 ans.
Plus de la moitié de la population marocaine a moins de 35 ans, mais les opportunités demeurent limitées.
Les autorités ont répondu avec une répression violente. Les manifestations pacifiques ont été interdites, les manifestants dispersés avec une force excessive et, dans certains cas, des moyens létaux ont été utilisés. Trois manifestants ont été tués, des centaines ont été blessés et près d’un millier de personnes ont été arrêtées, dont 270 répréhensibles pénalement. L’Association marocaine des droits humains (AMDH) a dénoncé des arrestations arbitraires et des attaques physiques commises par les forces de sécurité.
À la suite des manifestations, le gouvernement a promis une augmentation de 19% du financement de l’éducation et de la santé publiques. Les jeunes attendent désormais la mise en œuvre de ces promesses.
Les événements de 2025 au Maroc présentent de fortes similitudes avec les manifestations du Printemps arabe de 2010, les citoyens réclamant une nouvelle fois justice, égalité, liberté et dignité.

Gen Z Madagascar
En septembre 2025, des manifestations ont éclaté à Madagascar face à la frustration croissante provoquée par les fréquentes coupures d’eau et d’électricité, rendant les conditions d’étude et de travail insupportables. Des problèmes plus larges, tels que le chômage, les inégalités sociales et la corruption, ont également alimenté la contestation.
Le mouvement, d’abord organisé en ligne sous le nom de Gen Z Madagascar, a rapidement reçu le soutien de syndicats, d’organisations de la société civile et de responsables politiques de l’opposition.
Un manifestant anonyme de 20 ans a déclaré à Amnesty International en octobre 2025 :
« Nous voulons que nos voix soient entendues. Pendant trop longtemps, les jeunes ont été ignorés, alors que nous représentons l’avenir de cette nation. En descendant dans la rue, nous montrons que nous n’accepterons plus le silence. Nous exigeons un avenir meilleur et rejetons un système qui a abandonné l’éducation. »
Les autorités ont interdit les manifestations et répondu par une force létale. Au moins 22 personnes ont été tuées et plus de 100 blessées. Le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Volker Türk, s’est dit choqué par cette violence, exhortant les autorités malgaches à respecter leurs obligations internationales garantissant la liberté d’expression et de réunion pacifique.
À la suite des manifestations de masse et de la mutinerie militaire, le président Andry Rajoelina a démissionné, ayant échoué à apaiser les tensions par le dialogue. Le gouvernement a quitté ses fonctions, et l’armée a rejoint les manifestants et a ensuite pris le pouvoir. Cependant, la victoire des jeunes ne doit pas être confisquée par de nouvelles élites ni se transformer en une autre forme de régime autoritaire.

Génération Z au Népal
Au Népal, le mouvement a commencé après que le gouvernement a décidé de bannir les réseaux sociaux, une mesure largement perçue comme une attaque contre la liberté d’expression.
Même après l’annulation de la décision, les manifestations se sont intensifiées, se transformant en revendications plus larges contre la corruption, le népotisme, le chômage et la stagnation économique. L’indignation publique a augmenté lorsque les enfants des élites politiques ont exhibé leur richesse en ligne dans l’un des pays les plus pauvres d’Asie, alimentant la colère face aux inégalités et au népotisme.
Le mouvement a pris une ampleur considérable au Népal, où la Génération Z représente près de la moitié de la population.
Les manifestations ont été organisées via Discord, une plateforme connue pour sa sécurité et sa communication décentralisée.
Les protestations ont été violemment réprimées, et au moins 72 personnes ont été tuées par les forces de sécurité.
Les manifestants ont incendié des bâtiments gouvernementaux à Katmandou, entraînant la démission du Premier ministre. Fait remarquable, le candidat au poste de Premier ministre intérimaire a d’abord été proposé sur Discord avant d’être officiellement nommé, un exemple historique de démocratie numérique en action.
Les événements au Népal ont fait écho au soulèvement de la jeunesse bangladaise de 2024.

Génération Z au Pérou
Au Pérou, l’étincelle initiale est venue d’une proposition de réforme du système de retraite. Les manifestations ont rapidement évolué vers des revendications plus larges visant à mettre fin à la corruption, améliorer la sécurité et protéger les droits des femmes, en particulier leurs droits reproductifs. L’indignation publique s’est intensifiée lorsque des cas ont révélé que des victimes de viol s’étaient vu refuser des avortements thérapeutiques, mettant en lumière les défaillances systémiques dans la protection des femmes et des filles.
Alors que les troubles s’aggravaient, la présidente Dina Boluarte a été destituée et le président intérimaire José Jeri Oré a déclaré l’état d’urgence à Lima dans une tentative de rétablir l’ordre.

Conclusion
La vague de manifestations menées par la Génération Z démontre un engagement mondial renouvelé des jeunes en faveur de l’égalité, de la justice et de la démocratie. Leur utilisation stratégique des technologies numériques souligne le pouvoir transformateur des réseaux sociaux en tant qu’outil de mobilisation politique et de changement social.
Dans plusieurs pays, ces mouvements ont obtenu des résultats concrets, tels que la recomposition du leadership, l’imposition de réformes politiques et la redéfinition de l’engagement civique. L’activisme de la Génération Z marque l’émergence d’une nouvelle ère de mobilisation mondiale dans laquelle les jeunes redéfinissent les dynamiques du pouvoir politique et réimaginent la démocratie elle-même.
Geneva International Centre for Justice (GICJ) condamne fermement l’usage non nécessaire et disproportionné de la force par la police contre des manifestants pacifiques. Les Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l’usage des armes à feu stipulent clairement que les armes à feu ne peuvent être utilisées qu’en cas de menace imminente contre la vie ou de risque grave de blessure.
GICJ demande la libération immédiate de toutes les personnes détenues arbitrairement en lien avec des manifestations pacifiques. Les autorités doivent mener des enquêtes indépendantes et impartiales sur tous les cas de violence policière et garantir que tous les responsables, quel que soit leur rang, rendent des comptes.
Il est rappelé à tous les États leurs obligations en vertu du droit international, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de respecter et protéger les droits à la liberté de réunion pacifique, d’expression et d’association. Les actions des forces de l’ordre doivent pleinement se conformer aux normes internationales en matière de droits humains.