Par : Aimara Pujadas / GICJ

Traduit par : Alexandra Guy

Le 26 octobre, après six mois d’enquête, la Commission d’Enquête parlementaire brésilienne (CEP) a présenté un rapport [1] accusant le président Jair Bolsonaro et d’autres représentants de l’Etat de crimes en rapport avec la gestion de la pandémie de la COVID-19. La stratégie adoptée par le gouvernement a causé la mort de centaines de milliers d’individus au Brésil, qui est devenu le 7ème pays au monde avec le plus de morts par habitants.

Si le rapport est approuvé, 78 individus et 2 sociétés devraient être inculpés pour divers crimes commis durant la pandémie de la COVID-19.

Jair Bolsonaro est accusé de 9 crimes :

  • Crime épidémique ayant entrainé la mort
  • Violation des mesures sanitaires préventives
  • Charlatanisme
  • Prévarication (le fait de ne pas accomplir ou de retarder l'accomplissement d'un devoir public pour des raisons d'intérêt personnel)
  • Utilisation irrégulière de fonds publics
  • Incitation au crime
  • Falsification de documents privés
  • Crime de responsabilité
  • Crime contre l’humanité.

Cet évènement est d’autant plus important que, selon la Constitution brésilienne, le « crime de responsabilité » est passible de destitution. En effet, il contredit les principes de dignité, honneur et décorum attendu du président.

Le rapport, pour ses accusations, se réfère à un grand nombre de conduites et provisions énoncées dans le Code Pénal brésilien, tel que : l’homicide (article 121), mise en danger de la vie ou de la santé (article 132), épidémie (article 267), violation des mesures sanitaires préventives (article 268), incitation au crime (article 286), mensonge idéologique (article 299), malversation (article 319) et autres [2].

En outre, le rapport note l’engagement du Brésil contre les crimes contre l’humanité, par sa signature du Statut de Rome. Or, l’article 7.1 (k) de ce Statut définit comme crime contre l’humanité tous « actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale ». Les crimes d’extermination et de persécution contre des groupes ou des collectifs identifiables constituent aussi des crimes contre l’humanité, selon l’article 7.1 (h).

Selon la CEP, le gouvernement brésilien « a omis et a choisi d’agir de manière non technique et imprudente dans la lutte contre la pandémie » … « exposant délibérément la population à un risque concret d’infection massive ».

Faits derrière les accusations :

Bolsonaro est accusé d’avoir promu des soins douteux pour la COVID-19 et d’avoir forcé le passage de lois permettant aux docteurs et hôpitaux d’agir comme bon leur semblait. Lors de son témoignage au comité, le président de l’Agence nationale de réglementation de la santé du Brésil a notamment noté l’usage et la prescription de médicaments sans preuve scientifique d’efficacité tels que la chloroquine ou l’ivermectine.

De plus, le rapport dénonce un retard délibéré du gouvernement dans l’achat des vaccins. A ce propos, le témoignage du président de Pfizer en Amérique latine, Carlos Murillo, a été crucial, puisqu’il démontrait l’inaction du gouvernement de Jair Bolsonaro dans la gestion de la crise du coronavirus.

Entre août et novembre 2020, cinq propositions ont été soumises au gouvernement fédéral. Elles ont toutes été ignorées par le ministère de la Santé, alors dirigé par le Général Eduardo Pazuello. Le Brésil aurait pu recevoir 1,5 million de doses du vaccin Pfizer à la COVID-19 en décembre dernier.

Selon les sénateurs, Bolsonaro est notamment coupable d’incitation ou apologie du crime, ainsi que de propagation d’une épidémie. Ces offenses sont régies par le Code Pénal brésilien. Dans de nombreuses déclarations, vidéos, et même devant l’Assemblée Générale de l’ONU, le président a appuyé l’idée de parvenir à l’immunité générale par la contamination internationale de la population, au lieu de la vaccination.

Cette stratégie a d’ailleurs été imposée dans le pays, faisant passer l’économie du pays en priorité, et mettant en arrière-plan de développement des vaccins ainsi que les mesures de distanciation sociale recommandées par l’Organisation mondiale de la santé souscrites par la législature brésilienne.

Malheureusement, la recherche de l’immunité générale par la contamination s’est avérée insoutenable pour faire face à une pandémie de l’ampleur de la COVID-19, et a inévitablement entrainé le décès de milliers de personnes, ainsi que la surcharge et même l’effondrement des systèmes de santé.

Toutes les preuves susmentionnées ont poussé le comité à conclure que la réponse du gouvernement à la pandémie de la COVID-19 avait été à l’origine de crimes contre l’humanité. Il s’agit de l’accusation la plus sévère, et ce crime n’a pas de statut de limitation.

Originellement, la Commission souhaitait également accuser Bolsonaro de génocide contre les personnes indigènes et de meurtre de masse. Cependant, par manque de consensus et peur que différentes interprétations légales empêchent une possible condamnation, ces charges ont été abandonnées.

La CEP a tout de même noté que la réponse du gouvernement à la COVID-19 avait particulièrement impacté les populations indigènes. La Commission a collecté diverses études démontrant que la vulnérabilité des personnes indigènes à la COVID-19 était bien plus élevée que celle des personnes non-indigènes. Cela s’explique par la politique étatique qui a délibérément mis de côté des communautés indigènes.

Depuis sa prise de pouvoir, Jair Bolsonaro n’a cessé d’ignorer les lois protégeant les populations, causant l’augmentation continuelle de leur vulnérabilité, et ce bien avant la pandémie du coronavirus. Le président brésilien a mis en place une politique de destruction de la forêt amazonienne et d’attaques contre les peuples natifs, en prétendant vouloir accélérer les projets de développement dans des zones protégées.

Face à cette situation, en novembre 2019, un groupe d’avocats et de défenseurs des droits humains se sont regroupés en un Collectif de défense des droits humains (CADHU en portugais) et en une Commission ARNS (une nouvelle Commission des droits humains du Brésil). Ensemble, ils ont accusé le président brésilien de crimes contre l’humanité devant la Cour Pénale Internationale (CPI) [3].

Le rapport attaché à cette accusation liste 33 faits prouvant une intention criminelle de la part de Bolsonaro, notamment dans ses déclarations présidentielles. Il y affirme vouloir « intégrer » les populations indigènes « à la société brésilienne » et aux secteurs économiques majeurs en désinstitutionnalisant les politiques brésiliennes indigènes et en causant la destruction des conditions de vie et formes d’existence de ces individues par la pollution des rivières et l’invasion de leurs terres par des mineurs, des bûcherons et des accaparements de terres.

Les actions du gouvernement fédéral mettent les peuples indigènes et natifs d’Amazonie en danger de génocide et de déplacement forcé à cause de ce qui a été déclaré comme un écocide [4], constituant un crime contre l’humanité. Dans le contexte pandémique actuel, ces violations se sont accentuées, et ont été ajouté dans le rapport de la Commission d’enquête du Parlement brésilien.

Même si la Commission n’a pas le pouvoir de porter plainte, l’adoption d’un tel rapport permettra aux institutions compétentes – la Cour suprême et la Cour Pénale Internationale de la Haye - de lancer des enquêtes.

Geneva International Centre for Justice (GICJ) soutient la déclaration selon laquelle les crimes décrit par le rapport susmentionné étaient « intentionnels », le gouvernement brésilien s’étant délibérément abstenu de prendre les mesures nécessaires contre la propagation du coronavirus, en espérant que la population atteigne l’immunité générale. Cette stratégie très risquée a causé des centaines de milliers de décès qui auraient pu être prévenus.

GICJ dénonce le délai exagéré et délibéré de l’acquisition des vaccins par le gouvernement brésilien, et condamne la promotion des traitements inefficaces tel que l’hydroxychloroquine, mettant en danger la population brésilienne.

La crise mondiale de la COVID-19 a exacerbé les risques de violations des droits humains et les inégalités au Brésil, ce qui a eu un effet dévastateur sur les groupes vulnérables. Les communautés indigènes ont été privées de leurs droits et exclues dans des politiques de rétablissement. Leurs besoins spécifiques culturels n’ont jamais été pris en considération.

GICJ considère que les autorités gouvernementales coupables des crimes énoncés dans le rapport devraient être tenues pour responsables. Les preuves de crimes sont lourdes, que ce sooit des crimes ordinaires réalisés lors de la pandémie ou des crimes politico-administratifs (« crimes de responsabilité »), certains relevant de crimes contre l’humanité. Enfin, nous appelons les gouvernements de tous les pays à empêcher toute stratégie politique de désinformation similaire. La transparence est un principe de droit humain fondamental à la protection de la santé et de la sécurité des individus.

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[1] Sénat Fédéral. Commission d’enquête parlementaire pour la pandémie. Rapport final. [Portugais] 20 octobre 2021. https://down-load.uol.com.br/files/2021/10/2954052702_relatorio_final_cpi_covid.pdf

[2] Peluso Neder Meyer, Emilio; Bustamante, Thomas: A Portrait of Bolsonaro’s Crimes Against Humanity: The Legislative Investigative Committee Report on the COVID-19 Pandemic in Brazil, VerfBlog, 2021/11/05, https://verfassungsblog.de/a-portrait-of-bolsonaros-crimes-against-humanity/ , DOI: 10.17176/20211106-011750-0.

[3] Note d’information au Procureur de la Cour pénale internationale conformément à l’article 15 du Statut de Rome demandant un examen préliminaire sur l’incitation au génocide et les attaques systématiques généralisées contre les peuples autochtones par le président Jair Bolsonaro au Brésil. Publié en novembre 2019 bar le Collectif de Défense des Droits Humains et la Commission ARNS de São Paulo, Brésil. Disponible sur : https://apublica.org/wp-content/uploads/2019/11/e-muito-triste-levar-um-brasileiro-para-o-tribunal-penal-internacional-diz-co-autora-da-peticao.pdf

[4] Un écocide se définit comme le comportement et les actions de quelqu’un favorisant intentionnellement la destruction ou la perte extensive de l’écosystème d’un territoire et de sa biodiversité, empêchant l’utilisation de l’eau, du sol, du sous-sol, voire de l’aire de la région. Le débat sur l'écocide remonte aux années 1970. Depuis lors, il a pris de l'ampleur dans les forums de discussion des Nations unies jusqu’à être considéré comme un crime selon les normes internationales. Le 23 juin 2021, une Commission internationale de 12 juristes, soutenue par la société civile, a proposé une définition du crime d'écocide, un crime contre l'humanité et contre la planète, à considérer parmi les crimes internationaux à la Cour pénale internationale de La Haye (CPI).

 

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