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Respecter un devoir non délégable: éradiquer l’impunité des entreprises pour protéger les enfants africains

 

Par Mihretab Mekonnen Beyene/ GICJ

Traduit par Melissa Fuhrer

L’émergence du domaine des entreprises et des droits de l’homme (EHR) marque l’échec historique de la gouvernance à lutter efficacement contre les méfaits liés aux entreprises. En Afrique, l’introduction de la responsabilité des entreprises reste un engagement complexe, mais non-négociable. Le pouvoir considérable des entreprises multinationales (EMN), associé à la lenteur du développement des normes juridiques nationales, a créé un vide dangereux. Ce paysage réglementaire fragmenté impose souvent des normes universelles sans tenir compte des différences de contexte et des facteurs locaux, socio-économiques et politiques spécifiques propres aux États africains. Ce manque de réglementation permet aux entreprises d’opérer sans règles nationales adéquates, ce qui entraîne un déficit important en matière de gouvernance et favorise un environnement permissif pour les actes pourtant répréhensibles des entreprises. 

Crise d’exploitation: vulnérabilité structurelle des enfants

Des données probantes confirment une crise aiguë et croissante de la vulnérabilité structurelle des enfants à travers le continent africain. Cette crise est alimentée par l’exploitation systématique dans des secteurs clés à haut risque, notamment les industries extractives, agricoles et manufacturières. Dans les pays qui dépendent des investissements étrangers s’agissant de leurs ressources naturelles, l’accent mis sur les grands projets d’infrastructure et d’extraction aggrave considérablement les risques pour les enfants. 

Cette exposition des enfants entraîne des violations flagrantes de la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE), car elle conduit à des privations liées, telles que l’insécurité alimentaire, l’exclusion scolaire et une grave dégradation de la santé, ayant des conséquences irréversibles et intergénérationnelles. Les enfants constituent un groupe structurellement vulnérable, dépourvu de capacité juridique et dépendant de leurs responsables principaux. Ils sont ainsi exposés de manière disproportionnée aux effets négatifs des activités des entreprises et subissent un risque accru lié à la marchandisation numérique de l’enfance. L’augmentation documentée du travail des enfants au cours des cinq dernières années témoigne d’une défaillance massive dans l’application de la loi et d’un déficit alarmant en matière de responsabilité. 

Le paradoxe du cadre normatif

La communauté internationale a mis en place un cadre normatif solide, comprenant notamment les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme (PDNU) et les Principes relatifs aux droits de l’enfant de aux entreprises (CRBE), qui définissent clairement la responsabilité pour les entreprises de respecter les droits humains et le devoir des États de protection de l’enfance. 

Cependant, la nature non contraignante et souple de ces instruments juridiques présente un paradoxe. Si le droit souple établit des normes normatives puissantes en matière de conduite attendue et agit comme un catalyseur de la responsabilité des entreprises en facilitant l’internalisation des normes internationales, un modèle de conformité volontaire seul est manifestement insuffisant afin de lutter contre les malversations systémiques des entreprises. L’absence de force exécutoire rend le droit souple inefficace pour prévenir les violations graves des droits de l’enfant causées par les entreprises. Cela implique que toute initiative internationale visant à réglementer les activités des entreprises doit être liée indissociablement à des cadres juridiquement contraignants par le biais d’une mise en œuvre au niveau national. 

Le défi persistant consiste à combler le “déficit de gouvernance” engendrant un  “environnement permissif pour les actes répréhensibles des entreprises” et à mettre en place des mécanismes responsables afin de mettre en œuvre la politique “protéger, respecter, et réparer” à travers le continent.

Une obligation pour l’État hôte: assurer une cohérence normative

La responsabilité finale concernant la protection des enfants revient à l’État, qui a une obligation primaire non délégable en matière de droit international des droits de l’homme. Malgré une responsabilité croissante des entreprises, elles ne peuvent pas se substituer à l’autorité légale et aux structures de responsabilité du gouvernement. Ce principe témoigne de l'insuffisance du recours aux mesures volontaires pour atténuer effectivement les violations des droits des enfants. 

Les tentatives visant à réglementer les entreprises multinationales par le recours à des obligations extraterritoriales ou des traités internationaux contraignants ambitieux sont souvent mises à rude épreuve  en raison de résistances géopolitiques, lacunes normatives et négociations prolongées. Par conséquent, la compétence juridique nationale n’est pas seulement préférable, elle est indispensable. Les États africains doivent agir décisivement pour adopter un régime réglementaire national adapté au contexte. Cette approche garantit que les concepts clés des droits humains soient correctement interprétés et intégrés dans les systèmes juridiques locaux.

Cette approche proactive nécessite une stratégie d’application holistique reposant sur trois piliers interdépendants de cohérence normative et de responsabilité; la transformation législative, qui impose l’adoption d’une législation nationale contraignante afin de rendre explicitement opérationnelle la responsabilité des entreprises de respecter les droits de l’enfant, y compris la notion de diligence raisonnable dérivée des normes internationales, prévenant ainsi les impacts adverses des activités commerciales sur les droits de l’enfant; une surveillance et un contrôle rigoureux, mis en place grâce à des mécanismes de responsabilité transparents et efficaces, notamment en renforçant les inspections du travail et en établissant des mécanismes de recours non judiciaires accessibles afin d’enquêter et de juger efficacement les violations; et, surtout, un accès garanti à des recours et réparations efficaces, qui nécessite d’offrir aux titulaires de droits victimes une capacité juridique garantie au sein de système judiciaires adaptés aux enfants et le soutien nécessaire pour obtenir une réparation complète. 

Geneva International Centre for Justice: Position et appel

Geneva International Centre for Justice (GICJ) affirme que le déficit persistant en matière de gouvernance qui exempte les entreprises de leur responsabilité en cas de violation des droits de l’enfant est inacceptable et constitue un manquement fondamental à la protection des personnes les plus vulnérables du continent africain. Nous appelons tous les États africains à reconnaître immédiatement l’insuffisance des mesures volontaires et de la réglementation externe. Cette obligation primaire non délégable doit être exercée par le recours à une action nationale décisive. GICJ exige la mise en oeuvre urgente et prioritaire de la stratégie globale et holistique décrite ci-dessus, afin de garantir la transcription rapide des normes internationales en matière de droits de l’homme et d’entreprise au sein d'un droit national contraignant, de mettre fin à l’impunité des entreprises et d’assurer une réparation complète aux titulaires de droits victimes.

Conclusion: faire progresser la jurisprudence nationale

Le temps des  affirmations politiques dépourvues de sens  est révolu . Dans le but de concrétiser les normes universellement reconnues, l’État doit s’appuyer sur le cadre normatif international afin de créer des lois nationales applicables. Le renforcement des plateformes locales et la promotion de la jurisprudence nationale sur les entreprises et les droits des enfants sont les prochaines étapes indispensables.

Les solutions domestiques sont essentielles pour l’application effective de ces normes et le développement   d’une culture des droits des enfants au sein des entreprises opérant en Afrique. Cela exige non seulement une architecture juridique solide, mais aussi une attention constante accordée au renforcement des capacités, à l’engagement des parties prenantes et à une application efficace. 

 

 

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