48ème Session du Conseil des droits de l’Homme

Du 13 septembre au 8 octobre 2021

Ordre du jour n°3 – Promotion et protection de tous les droits humains, civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, y compris le droit au développement

Dialogue Interactif avec le Groupe de Travail sur les disparitions forcées ou involontaires

21 septembre 2021

Par : Payton Focht
Traduit par : Alexandra Guy

Résumé


Le dialogue interactif avec le Groupe de travail sur les disparitions forcées et involontaires a eu lieu lors de la 13ème réunion de la 48ème Session du Conseil des droits de l’Homme, qui s’est tenu le 21 septembre, avec un accent mis sur les disparitions forcées dans le cadre des transferts transnationaux. Les transferts transnationaux sont des situations dans lesquelles les Etats détiennent des accords pour extrader des individus originellement détenus dans l’un des Etats vers un autre. Cela pose des soucis sur le plan juridique et sur celui des droits de l’homme. Les individus ne bénéficient pas d’une procédure équitable et sont enlevées sans pouvoir contacter leur famille ou avocat. Le Groupe de Travail a rapporté de nombreux cas de disparitions forcées, mais a malheureusement été dans l’incapacité de se rendre dans les pays pour examiner la situation sur le terrain en raison de la pandémie de la COVID-19.


Le débat ayant eu lieu lors du dialogue interactif s’est inscrit dans la continuité du rapport et des problématiques y ayant été énoncées. Henrikas Mickevičius, le représentant Groupe de travail sur les disparitions forcées et involontaires lors de cette réunion, a abordé le sujet des disparitions forcées dans le contexte des transferts transnationaux. Il a insisté sur la multiplicité des formes que peuvent prendre les disparitions forcées. Il a également appuyé que les besoins des victimes et de leur famille devaient être mis au centre de toute prise d’initiative. La majorité des délégations ont montré leur soutien envers le Groupe de travail et ont adhéré sur la gravité de la situation.


Geneva International Center for Justice note que la visite du Groupe de travail en Irak n’a toujours pas pu être effectuée. Même si nous comprenons la situation sanitaire, une visite nous semble cruciale, étant donné que les autorités iraquiennes continuent d’ignorer les recommandations de 2016 et 2020. En effet, la législation iraquienne en vigueur et son application, notamment par les autorités, n’est pas conformes aux obligations de la Convention. Il faut donc absolument continuer et renforcer les recherches sur les cas de disparitions forcées afin de s’assurer que la Convention est pleinement implémentée de jure et de facto.


Contexte


Le rapport documente toutes les activités du Groupe de Travail ainsi que les cas de disparitions forcées ou involontaire relevés entre le et le 21 mai 2021. Le Groupe de Travail a été créé pour aider les familles des disparus à retrouver leurs proches et à connaître les causes et conséquences de ces disparitions forcées ou involontaires. Le nombre de dossiers encore en cours d’investigation s’élève à 46 490 dans un total de 95 Etats. Au cours de la période d’enquête du groupe de travail, 376 cas ont été classés. La Convention internationale pour la Protection des toutes les personnes contre les disparitions forcées a été adoptée en 2006. Malheureusement, ces violations des droits humains continuent d’avoir lieu. La définition des disparitions forcées ne cesse d’évoluer avec le temps. Les transferts transnationaux, par exemple, représentent un aspect nouveau et grandissant des disparitions forcées pour la communauté internationale. Les Etats doivent donc prendre les mesures nécessaires pour faire face à ce problème.


Rapport du Groupe de Travail


Depuis septembre 2019, le Groupe de Travail documente non seulement les cas de disparitions forcées commis par les Etats, mais également ceux commis par les acteurs non-gouvernementaux. La majorité de ces cas ont eu lieu en Lybie et au Yémen (14 cas). De plus, aucune visite de pays n’a pu être possible en raison de la crise sanitaire. La date de la reprise de ce type d’activité est encore inconnue.

En Irak, 16 423 cas étaient en cours d’examen au début du mandat du Groupe de Travail. Quatre cas ont été transmis au gouvernement lors de la période considérée, résultant en un total de 16 427 cas à la fin de la période considérée. De plus, deux appels urgents ont été envoyés, ainsi qu’une lettre d’allégation. Globalement, l’Irak est concerné par un nombre de cas de disparitions forcées largement plus grand que les autres pays.

Comme évoqué précédemment, le rapport se concentrait sur les cas de disparitions forcées dans le contexte des transferts transnationaux. Dans les cas documentés, les Etats ont transféré des individus hors de leur juridiction, avec le soutien ou l’accord d’autres Etats. Cela leur a permis de récupérer certains de leurs ressortissants ou des ressortissants de pays tiers, souvent dans le cadre d’opérations dites de lutte contre le terrorisme. Certaines de ces disparitions forcées se sont produites dans le cadre de procédures d’expulsions régulières, tandis ce que d’autres ont été réalisées dans le cadre d'opérations extraterritoriales secrètes, notamment les "restitutions extraordinaires". De tels actes constituent bel et bien une violation du principe de non-refoulement de la part des pays d’accueil, comme mentionné dans l’article 8 de la Convention internationale pour la Protection des toutes les personnes contre les disparitions forcées.

Afin de capturer des individus initialement à l’étranger pour les détenir sous leur juridiction, les Etats multiplient les actions juridiques furtives, souvent avec l’aide de l’Etat d’accueil. Cela leur permet de les placer hors de la protection de la loi. D’autres Etats signent des accords de coopération de sécurité bilatéraux contenant de vagues références au combat contre le terrorisme et aux crimes transnationaux, leur permettant de justifier et faciliter le transfert des victimes. On relève également des cas de surveillance continue, des fouilles de domicile et des arrestations arbitraires, souvent dans le cadre d’opérations secrètes. Les victimes ont été mises dans des véhicules non matriculés sans apparente justification juridique. Les responsables ne se sont pas présentées et n’ont pas non plus présenté de mandat d’arrêt ou d’explications, alors que les victimes ont été délogées ou enlevées dans la rue, quelques fois les yeux bandés, les mains menottées ou le visage encagoulé. Lors du transfert, à la fois des avions non-immatriculés et des compagnies aériennes ont pu être utilisées.

Selon le rapport, les individus ont été portés disparus entre 24 heures et 3 semaines avant leur transfert dans un autre pays. Ce laps de temps aurait été caractérisé par des actes de torture et de mauvais traitement dans le but d’obtenir un accord pour rentrer dans l’autre pays ou des confessions forcées qui servirait au pays d’accueil pour des poursuites pénales. L’accès au soin et à un représentant légal leur était refusé, la procédure régulière n’était pas respectée, et les proches n’étaient pas au courant de leur situation géographique, mentale, physique et juridique.

Une fois arrivés sur le territoire du pays d’accueil, les victimes ont indiqué avoir été mises en examen et placées en détention provisoire, en vertu de la législation antiterroriste et de décrets d’urgence. La mise en place d’accords de coopération bilatéraux se serait faite légèrement avant ces disparitions forcées, ce qui laisse à penser que le tout faisait partie d’une même stratégie. Dans certains cas, les transferts ont permis de retirer la citoyenneté ou un ancien passeport aux personnes ciblées.
Des témoignages avancent aussi que les proches des victimes auraient été victimes d’intimidation ou d’harcèlement à cause de leur militantisme dans les cas de disparitions forcées.

Le Groupe de travail rappelle que le fait de priver les individus de leur liberté sans fondement juridique et refuser de faire connaître leur sort ou l'endroit où ils se trouvent, pour quelque motif ou durée que ce soit et dans quelque contexte que ce soit, constitue une disparition forcée. Il considère également que les accords inter-Etats doivent être accessibles au public.

Les droits des victimes présumées ont été méprisés : aucune enquête n’a réellement été menée, et les coupables n’ont pas été tenus pour responsables pour ces violations des droits humains. Les autorités ont plutôt choisi de nier l’existence ou l’illégalité de telles opérations de transfert. Elles ont invoqué la proportionnalité de l’acte par rapport à la situation, acte visant à neutraliser une menace immédiate à la sécurité nationale. Les États ont largement refusé aux victimes et à leurs familles le droit à un recours effectif, garantissant notamment la cessation des violations et la garantie de non-répétition, la restitution des biens, l'indemnisation et la réhabilitation des victimes, ainsi que la satisfaction des besoins.

Le nombre de violations de la législation internationale en termes de transferts transnationaux ne fait qu’augmenter. Le Groupe de travail rappelle que la durée de la disparition d’un individu ne peut pas être utilisée pour révoquer une qualification de disparition forcée. Ces transferts constituent des violations des droits de l’homme, et plus particulièrement du droit à la justice. Les victimes sont privées des droits à un recours effectif et à un procès équitable, ce qui viole le droit à la présomption d’innocence. Les individus ne peuvent pas contester la légalité de leur situation et n’ont pas accès à un représentant légal. Ils sont souvent poussés aux aveux. Ce type de disparitions forcées est souvent lié à d’autres violations des droits humains, telles que la torture et autres traitements inhumains.

Le Groupe de travail a recommandé aux Etats de :


• Cesser leurs tentatives de justification de tels actes
• Reconnaitre que les disparitions forcées incluent les disparitions de courte durée
• Revoir et supprimer les lois ayant permis ce type d’actes
• Rendre accessibles publiquement les accords inter-Etats
• Assurer que ces accords soient en concordance avec les droits de l’Homme
• Mettre en place des garanties procédurales
• Enquêter sur les éventuelles violations
• Cesser l’impunité des coupables
• Apporter l’aide et le soutien nécessaire et légitime aux victimes et à leur famille
• Assurer la liberté d’expression et la sécurité des défenseurs des droits humains et avocats
• Renforcer les instances parlementaires ou judiciaires en charge de la surveillance des agences de sécurité soupçonnées d’effectuer des transferts transnationaux


Dialogue interactif avec le Groupe de travail

Le dialogue interactif avec le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires a eu lieu lors de la 13ème réunion de la 48ème Session du Conseil des droits de l’Homme le 21 septembre.


Henrikas Mickevičius s’est exprimé au nom du groupe de Travail. Il a fait référence à leur rapport, tout en soulignant que celui-ci ne pouvait pas être complètement exhaustif. Il a expliqué que les disparitions forcées pouvaient prendre plusieurs formes, et que ce phénomène évoluait avec le temps. Par conséquent, la communauté internationale doit constamment s’adapter à ces changements et évolutions. Récemment, les disparitions dans le cadre des transferts internationaux ont pris de l’ampleur. Ce sujet a donc été traité plus en profondeur dans le rapport.

Henrikas Mickevičius a bien souligné que les victimes devaient être au centre de toutes les préoccupations et actions sur le sujet. Leurs besoins et ceux de leur famille et communauté doivent être considérés.

Il a rappelé que les visites de pays avaient été impossibles en raison de la pandémie de la COVID-19. Cela a handicapé les recherches, les visites permettant de recueillir des témoignages sur le terrain, d’écouter les victimes et les organisations de la société civile, et de mieux comprendre les causes profondes et les implications de ces violations dans la vie quotidienne. Elles jouent aussi un rôle de dissuasion et de prévention, ce qui est souvent oublié. Le Groupe de travail a affirmé vouloir reprendre les visites le plus vite possible, dès que la situation sanitaire le permettra. Il a également demandé aux pays ayant reçu une demande de visite de leur part de l’accepter.

Ensuite, Henrikas Mickevičius a discuté des progrès faits en Albanie et en Gambie. En Albanie, l’amélioration générale de la situation est ralentie par l’absence d’engagement politique. Le Groupe de travail recommande de renforcer le cadre institutionnel en créant pour les familles un guichet ou une institution réservée à ce problème et rassemblant toutes les étapes et procédures. La Gambie a implémenté plusieurs des recommandations du Groupe de travail, ce qui a fait avancer la situation. Cependant, l’accès à la justice, au recours et à la réparation pour les victimes n’est toujours pas assuré, notamment en raison d’un cadre juridique trop faible.

La communauté internationale doit s’allier et s’engager pour combler les failles juridique et politiques favorisant les disparitions forcées. Derrière chaque cas, ce sont des êtres humains qui souffrent des pires traitements. Le terme « victime » n’englobe pas seulement la personne disparue, mais aussi sa famille et sa communauté, qui sont impactées par de telles violations des droits humains. Les actions de la communauté internationales et des Etats ne sont toujours pas suffisantes. Il faut collaborer assidument avec le Groupe de Travail afin de combattre et de mettre un terme aux disparitions forcées.

Le représentant du Groupe de travail a ensuite répondu aux questions et remarques des Etats revenues le plus fréquemment. Il a commencé par remercier les Etats d’avoir reconnu la gravité des disparitions forcées, qui peuvent même certaines fois être qualifiées de crimes contre l’humanité. La Grèce a demandé ce qui pouvait être fait pour prévenir et combattre les transferts transnationaux. Henrikas Mickevičius a répondu qu’il fallait absolument arrêter de justifier les actes de disparitions forcées par la défense de la sécurité nationale et le combat contre le terrorisme. Les accords inter-états doivent respecter les droits humains internationaux et garantir la protection des individus en cas de renvoi. Certaines délégations ont remis en question la fiabilité des sources du Groupe de Travail, qui a réaffirmé travailler de bonne foi et objectivement, indépendamment, et impartialement.

La délégation d’Iraq a confirmé qu’elle accueillerait le groupe de travail pour une visite lorsque la situation sanitaire le permettrait. La délégation de Cuba a déclaré que, selon leur base de données actualisée en temps réel, le pays ne comptait aucun cas de disparition forcée. Chypre a demandé l’accès aux archives turques et aux zones militaires afin de retrouver les individus disparus. La Croatie recherche toujours 18 088 individus disparus lors de la guerre de Yougoslavie. Elle a demandé l’accès aux archives afin de retrouver ces personnes. La Biélorussie a mis en lumière la situation au Canada, où des milliers d’enfants autochtones ont disparus et ont été tué dans des internats. Ils ont affirmé que le groupe de travail n’avait pas le droit de passer sous silence ces drames, et que la communauté internationale devait assurer la prise de responsabilité des coupables et la prévention de telles violations.

De manière générale, la société civile a adhéré aux dires du Groupe de travail. Beaucoup de membres de la société civile ont mis en avant la nécessité de mettre un terme aux pratiques d’intimidation contre les familles à la recherche de leurs proches et les défenseurs des droits humains. L’ignorance de la situation des personnes disparus au Moyen-Orient a également été mise en avant : cette zone géographique est l’une des plus concernées par les cas de disparitions forcées et ne reçoit pas l’attention nécessaire. Depuis 10 ans, les pays occidentaux ont souvent choisi d’ignorer les cas de disparitions forcées, tout en restant très présent sur le territoire en participants= aux occupations militaires. Les ONG ont rappelé aux pays occidents les promesses faites et ont encouragé la communauté internationale à aider les individus dans le besoin en temps de guerre et dans les zones envahies par des terroristes.


Position de Geneva International Center for Justice

GICJ souligne que, selon ses sources, on compte entre 200 000 et 1 000 000 de personnes disparues en Irak depuis 2003. Les autorités iraquiennes et ses milices utilisent le prétexte de la lutte contre le terrorisme pour enlever des milliers de civils innocents dans un but sectaire et politique. GICJ constate avec préoccupation que les visite du groupe de travail en Iraq n’a toujours pas pu être réalisée. Nous pensons que cette visite est cruciale, étant donné que les autorités iraquiennes continuent d’ignorer les recommandations de 2016 et 2020. De plus, nous exprimons notre soutien à la lutte suivant la découverte des corps des enfants autochtones disparus dans des internats au Canada. Il s’agit d’une grave violation des droits de l’Homme, et le Canada se doit de rectifier la situation immédiatement. Il doit identifier les enfants tués, veiller à ce que les familles soient prises en charge sur le plan émotionnel et financier, et prendre des mesures pour s’assurer que ce type de disparitions forcées et de massacre systématique n’ai plus jamais lieu. La problématique des disparitions forcée est mondial et trop souvent ignorée par les gouvernements. Il incombe à la communauté internationale d’imposer des normes plus strictes et de maintenir ces problématiques en lumière, afin d’assurer la justice pour les victimes et leurs familles.



From: https://newnaratif.com

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Justice, Human rights, Geneva, geneva4justice, GICJ, Geneva International For Justice

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