Des experts en droits de l'homme dénoncent les atrocités commises par Israël contre les femmes et les enfants à Gaza

By Breshna Rani / GICJ

Le 28 mars, l'Association Ma'onah for Human Rights and Immigration, International-Lawyers.Org, Law for Palestine, l'Organisation internationale pour l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale et Geneva International Center for Justice (GICJ) ont organisé un événement parallèle à la 55ème session du Conseil des droits de l'Homme des Nations Unies (CDH) avec le Dr Francesca Albanese, Rapporteure Spéciale des Nations Unies sur la situation des droits de l'Homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967. Mme Rula Shadeed, défenseure des droits de l’Homme originaire de Palestine, s'est jointe à l'événement. Les deux intervenantes ont abordé la question de la dévastation causée par l’agression d'Israël sur Gaza, et en particulier de son impact terrible sur les femmes et les enfants.  

À propos des intervenants

La Rapporteuse Spéciale est une professeure renommée dans les domaines du droit international et des déplacements forcés, ainsi qu'une experte sur la situation juridique et humanitaire en Palestine. Elle travaille également depuis une décennie en tant qu'experte des droits de l'Homme pour les Nations Unies, notamment au Haut Commissariat aux droits de l'Homme et à l'Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine. Pour sa part, Mme Shadeed a plus de 15 ans d'expérience dans le domaine des droits de l'Homme, du droit des réfugiés, de la mobilisation et du plaidoyer. De plus, elle est codirectrice de la Fondation for Middle East Peace. L'événement a été modéré par M. Gautier Boyrie, responsable des droits de l'Homme au GICJ.

Interventions des conférenciers

Ms. Rula Shadeed

L'intervention de Mme Shadeed a commencé par une reconnaissance de la mort tragique de 14 880 enfants et 9 340 femmes dans ce génocide, suivi d'une minute de silence en leur honneur. Elle a également rappelé qu'environ 32 000 personnes à Gaza ont perdu la vie aux mains des forces d'occupation - l'équivalent de la disparition d'une ville entière en Suisse - et que 7 000 autres ont péri sous les décombres, sans que l'on sache ce qu'ils sont devenus. Dans le contexte de la famine provoquée par Israël, qui a poussé des dizaines de milliers d'enfants à mourir de faim, Mme Shadeed a fait remarquer que "la mort sociale est la première étape de l'anéantissement physique d'un groupe". Selon elle, il est essentiel de se concentrer sur les femmes en particulier à ce moment critique : Il n'est donc pas étonnant que dans toute situation de colonisation, les femmes soient attaquées en raison de leur rôle de mère d’enfants palestiniens.

Mme Shadeed a mis en lumière les témoignages dramatiques de plus de 80 femmes qui ont subi des violences et des abus sexuels dans les prisons militaires israéliennes. L'ampleur déplorable de ces violations l'a amené, comme beaucoup d'autres, à remettre en question le féminisme occidental et son objectif. En 2016, le mouvement féministe occidental est descendu dans la rue pour protester contre les remarques et les positions misogynes de Donald Trump, mais aujourd'hui, alors que les femmes palestiniennes souffrent de niveaux extrêmes d'abus et de violences fondées sur le genre, ce même mouvement s’est tu. Le silence de toutes les parties, organisations et États est un reflet malheureux mais réaliste de ce qu'ils représentent, et de ce qu'ils n'ont pas été prêts à faire et à sacrifier pour créer un monde meilleur.

Ms. Francesca Albanese

La Rapporteuse Spéciale Albanese a poursuivi la discussion en parlant de son expérience avec les enfants de Gaza. Elle a fait remarquer qu'en regardant des vidéos d'enfants du monde entier exprimant leurs désirs et leurs attentes pour l'avenir, tels des souhaits matériels, notamment celui d'avoir un iPhone ou d'essayer certains aliments.  Il n'en va pas de même pour les enfants de Gaza. Leurs rêves concernent essentiellement leur survie immédiate - rester en vie au milieu de la violence ou retrouver leurs frères et sœurs, leurs amis et leur famille - un sombre rappel des tragédies qu'ils ont vécues au cours des derniers mois. Ces témoignages n'ont malheureusement pas choqué Mme Albanese, qui a été témoin direct de la brutalité des attaques de l'occupation. Elle a cependant souligné que ces attaques pourraient inciter la communauté internationale à changer la donne pour ces enfants qui jusqu’ici ne pouvaient espérer de leur existence que la simple survie.

 Mme Albanese a fait remarquer que la charge de la preuve de la Cour Internationale de Justice (CIJ) pour discerner l'intention génocidaire d'un État est très élevée, et qu'aucun État n'a été tenu pleinement responsable à ce jour. Elle a expliqué que pour s'en assurer, il faut examiner les schémas de comportement de l'État agresseur, ainsi que leurs ampleurs. Alors que les praticiens du droit international s'accordent largement à dire que les actions radicales de l'État d'Israël constituent des crimes de guerre, Mme Albanese a poussé la communauté internationale à prendre en considération leur nature manifestement génocidaire. Non seulement les violations sont systématiques, mais elles sont également commises avec une intention génocidaire évidente à plusieurs niveaux de l'appareil militaire israélien. Cela va au-delà du simple manquement à l'obligation de prévenir le génocide, obligation qui incombe à tous les États parties signataires de la convention de 1948 sur le génocide, y compris Israël. Comme elle l'a noté dans la conclusion de son discours d'ouverture, "le génocide aurait dû être évité, mais il a maintenant été commis".

Ces derniers mois, Mme Albanese a été confrontée à des critiques de plus en plus haineuses et virulentes de la part de ceux qui préféreraient que ses conclusions ne soient jamais révélées à la communauté internationale. Son mandat, que les États membres des Nations unies ont créé et doivent soutenir, consiste à enquêter et à faire état sur la situation des droits de l'Homme dans les territoires palestiniens. C'est exactement ce qu'elle a fait, en mettant en lumière les atrocités subies par le peuple palestinien aux mains de ses occupants. Et pourtant, malgré les nombreuses preuves qu'elle a rassemblées et présentées au monde, nombreux sont ceux qui ont continué à dénoncer injustement son travail, sa position et même sa personnalité. Il est crucial, dans des moments comme celui-ci, de soutenir ceux qui luttent pour la justice du peuple palestinien, y compris lorsqu'ils sont confrontés à des remarques haineuses et même à des menaces.

GICJ et ses ONG partenaires soutiennent sans équivoque le travail de la rapporteuse spéciale, ainsi que tous les défenseurs des droits de l'Homme qui appellent à la préservation des droits fondamentaux des Palestiniens, auxquels ils ont droit en vertu du droit international et du droit humanitaire international. C'est dans cet esprit que nous avons organisé cet événement et que nous continuerons à faire entendre la voix du peuple palestinien.

Questions de l'audience

Après les interventions, les membres du public ont posé des questions aux orateurs. Alfred-Maurice de Zayas, ancien expert indépendant des Nations unies sur la promotion d'un ordre international démocratique et équitable, et professeur de droit international et d'histoire à la Geneva School of Diplomacy, a posé la question suivante :

"Le diagnostic est clair et vous l'avez plus que justifié et étayé. Mais quelles mesures la communauté internationale peut-elle prendre maintenant, incluant la rupture de toutes les relations commerciales et diplomatiques avec Israël ?

Mme Shadeed répond en premier, soulignant l'importance d'un cessez-le-feu immédiat et permanent, en plus d'un embargo militaire sur Israël. Peu avant cet événement, le Conseil de sécurité des Nations unies a annoncé le 25 mars 2024 un cessez-le-feu temporaire pour le reste du mois de Ramadan, qui est à présent passé. Elle a également appelé la communauté internationale à faire pression sur Israël pour la libération des quelque 10 000 prisonniers politiques détenus depuis le 7 octobre. Mme Shadeed a en outre souligné que des mesures appropriées seraient l'annulation de tous les accords de libre-échange avec Israël, un soutien officiel des États à la plainte déposée par l'Afrique du Sud contre Israël, l'assistance à la CPI dans la collecte de preuves pour son enquête, et l'utilisation de mécanismes judiciaires au sein des pays pour faire en sorte que les auteurs de crimes de guerre rendent compte de leurs actes. Enfin, elle a demandé que l'adhésion d'Israël à des événements internationaux soit dissous ou révoquée, par exemple en ce qui concerne l'Eurovision, la FIFA et les prochains Jeux olympiques de 2024.

La Rapporteuse Spéciale Albanese est également intervenue sur cette question. Elle a fermement souligné que le retard pris par les mécanismes judiciaires internationaux, en particulier la CPI, ne devrait pas dissuader les États de prendre des mesures indépendantes. Notamment, les tribunaux nationaux sont des moyens viables et efficaces d'engager des procédures, en particulier contre de nombreux Israéliens qui possèdent une double nationalité et travaillent avec l'armée israélienne. Elle a également affirmé la nécessité de soutenir la Commission internationale indépendante d'enquête sur Israël et les territoires palestiniens occupés, qui a contribué au processus de déclenchement de l'avis consultatif de la CIJ.

La deuxième question a été posée par une personne ayant la double nationalité palestinienne et suisse, qui s'inquiétait du fait que le gouvernement suisse retire son financement aux ONG. Elle a posé la question suivante : "Comment envisagez-vous une solution juste pour la Palestine dans dix ans ? Quelle est la solution la plus réaliste et la plus juste pour la Palestine ?

Selon Mme Shadeed, "ce qui se passe en Palestine a un impact immédiat sur les libertés des Européens". L'interdiction par Israël de manifester ou d'utiliser certaines couleurs ou certains slogans devrait susciter l'inquiétude du monde occidental et a des conséquences directes sur la santé du droit à la liberté d'expression dans le monde entier. En outre, tout en notant qu'elle ne peut pas parler au nom du peuple palestinien en revendiquant le résultat souhaité, qu'il s'agisse d'un État unique, de deux États ou même de plusieurs États, Mme Shadeed se préoccupe avant tout de leur autodétermination. Depuis 75 ans, les Palestiniens sont privés de la vie politique saine à laquelle ils ont droit. Ils devraient se voir accorder le droit d'organiser des élections et de déterminer leurs propres structures politiques, droits que l'occupation leur a systématiquement refusés. Au cours de la prochaine décennie, Mme Shadeed souhaite simplement que les Palestiniens contrôlent leur propre avenir, qu'ils puissent construire leur propre identité dans un contexte politique, économique et culturel qui réponde à leurs besoins et, en fin de compte, qu'ils soient heureux.

Mme Albanese, pour sa part, a déclaré qu'au cours des négociations en vue de la solution des deux États, les Palestiniens ont accepté la ségrégation de leur peuple dans la recherche d'une solution pacifique à leur situation. Pourtant, Israël a continué à leur imposer un système d'oppression qui consacre une sorte de supériorité de ses citoyens. Un tel système est inacceptable. Il ne faut pas s'étonner que la résistance naisse de cette situation. Mme Albanese a fait remarquer que les Palestiniens ont poursuivi pendant des décennies des moyens pacifiques de résistance, mais qu'après avoir subi la violence et la discrimination pendant si longtemps, il ne fallait pas s'attendre à ce qu'ils acceptent simplement leur oppression. Comme tout peuple, les Palestiniens ont le droit de résister en vertu du droit international. Le fait que certains actes commis dans le cadre de ce processus aient été illégaux n'invalide pas ce droit. En ce qui concerne l'avenir des Palestiniens, il est important de souligner qu'il incombe à la communauté internationale de ne pas s'exprimer au nom du peuple palestinien sur l'État qu'ils jugeraient acceptable. Au contraire, leur voix doit s'élever dans le cadre de ce processus, dans lequel les droits de tous les habitants du territoire doivent être acceptés.

Conclusion 

Avant la fin de la session, nous avons eu l'honneur d'entendre Mme Heba, une réfugiée palestinienne qui est récemment arrivée à Genève après avoir été évacuée de l'assaut sur Gaza, en passant par l'Égypte. Elle a parlé de ses graves blessures et a témoigné de son séjour à l'hôpital, où elle a été forcée de quitter les lieux en urgence par les équipes d'intervention de l'occupation. Pendant de nombreux kilomètres, elle a marché avec une blessure à la colonne vertébrale, voyant des cadavres gisant tout autour d'elle. Tout au long de ce carnage, elle a vu des soldats rire de la situation.

Mme Heba a exprimé sa déception à l'égard des ONG qui prétendaient lui apporter un soutien. Elle n'a pas reçu les produits de première nécessité dont elle et d'autres personnes dans une situation similaire avaient besoin. Pendant huit jours, elle a cherché de l'eau ou du lait pour sa fille. En raison du manque de ressources disponibles, elle a même dû boire un "liquide sombre" en essayant de conserver de l'eau propre pour son enfant.

Personne, et surtout pas les enfants, ne devrait avoir à souffrir de la douleur que la population de Gaza a connue pendant des années, et plus particulièrement au cours des six derniers mois. La douleur de perdre sa famille, sa maison, ses revenus, son éducation, ses amis et, enfin, la douleur de mourir de faim. C'est un échec moral de la communauté internationale que d'avoir permis que de telles conditions se produisent.

Geneva International Centre for Justice (GICJ) salue le travail de la Rapporteuse Spéciale et de tous les défenseurs des droits de l'Homme, tels que Mme Shadeed, qui dénoncent les crimes de l'occupation et cherchent à faire entendre la voix du peuple palestinien en ces temps tragiques. Nous appelons la communauté internationale à entreprendre tous les efforts possibles pour mettre fin aux souffrances actuelles, notamment en adoptant une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies exigeant un cessez-le-feu permanent et en obligeant la puissance occupante, Israël, à se conformer aux mesures provisoires de la CIJ, qu'elle a défiées à maintes reprises. Nous demandons également qu'il soit mis fin aux souffrances du peuple palestinien, ce qui ne sera possible que lorsque l’occupation prendra fin.

Des experts en droits de l'homme dénoncent les atrocités commises par Israël contre les femmes et les enfants à Gaza
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By Breshna Rani / GICJ

Le 28 mars, l'Association Ma'onah for Human Rights and Immigration, International-Lawyers.Org, Law for Palestine, l'Organisation internationale pour l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale et Geneva International Center for Justice (GICJ) ont organisé un événement parallèle à la 55ème session du Conseil des droits de l'Homme des Nations Unies (CDH) avec le Dr Francesca Albanese, Rapporteure Spéciale des Nations Unies sur la situation des droits de l'Homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967. Mme Rula Shadeed, défenseure des droits de l’Homme originaire de Palestine, s'est jointe à l'événement. Les deux intervenantes ont abordé la question de la dévastation causée par l’agression d'Israël sur Gaza, et en particulier de son impact terrible sur les femmes et les enfants.  

À propos des intervenants

La Rapporteuse Spéciale est une professeure renommée dans les domaines du droit international et des déplacements forcés, ainsi qu'une experte sur la situation juridique et humanitaire en Palestine. Elle travaille également depuis une décennie en tant qu'experte des droits de l'Homme pour les Nations Unies, notamment au Haut Commissariat aux droits de l'Homme et à l'Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine. Pour sa part, Mme Shadeed a plus de 15 ans d'expérience dans le domaine des droits de l'Homme, du droit des réfugiés, de la mobilisation et du plaidoyer. De plus, elle est codirectrice de la Fondation for Middle East Peace. L'événement a été modéré par M. Gautier Boyrie, responsable des droits de l'Homme au GICJ.

Interventions des conférenciers

Ms. Rula Shadeed

L'intervention de Mme Shadeed a commencé par une reconnaissance de la mort tragique de 14 880 enfants et 9 340 femmes dans ce génocide, suivi d'une minute de silence en leur honneur. Elle a également rappelé qu'environ 32 000 personnes à Gaza ont perdu la vie aux mains des forces d'occupation - l'équivalent de la disparition d'une ville entière en Suisse - et que 7 000 autres ont péri sous les décombres, sans que l'on sache ce qu'ils sont devenus. Dans le contexte de la famine provoquée par Israël, qui a poussé des dizaines de milliers d'enfants à mourir de faim, Mme Shadeed a fait remarquer que "la mort sociale est la première étape de l'anéantissement physique d'un groupe". Selon elle, il est essentiel de se concentrer sur les femmes en particulier à ce moment critique : Il n'est donc pas étonnant que dans toute situation de colonisation, les femmes soient attaquées en raison de leur rôle de mère d’enfants palestiniens.

Mme Shadeed a mis en lumière les témoignages dramatiques de plus de 80 femmes qui ont subi des violences et des abus sexuels dans les prisons militaires israéliennes. L'ampleur déplorable de ces violations l'a amené, comme beaucoup d'autres, à remettre en question le féminisme occidental et son objectif. En 2016, le mouvement féministe occidental est descendu dans la rue pour protester contre les remarques et les positions misogynes de Donald Trump, mais aujourd'hui, alors que les femmes palestiniennes souffrent de niveaux extrêmes d'abus et de violences fondées sur le genre, ce même mouvement s’est tu. Le silence de toutes les parties, organisations et États est un reflet malheureux mais réaliste de ce qu'ils représentent, et de ce qu'ils n'ont pas été prêts à faire et à sacrifier pour créer un monde meilleur.

Ms. Francesca Albanese

La Rapporteuse Spéciale Albanese a poursuivi la discussion en parlant de son expérience avec les enfants de Gaza. Elle a fait remarquer qu'en regardant des vidéos d'enfants du monde entier exprimant leurs désirs et leurs attentes pour l'avenir, tels des souhaits matériels, notamment celui d'avoir un iPhone ou d'essayer certains aliments.  Il n'en va pas de même pour les enfants de Gaza. Leurs rêves concernent essentiellement leur survie immédiate - rester en vie au milieu de la violence ou retrouver leurs frères et sœurs, leurs amis et leur famille - un sombre rappel des tragédies qu'ils ont vécues au cours des derniers mois. Ces témoignages n'ont malheureusement pas choqué Mme Albanese, qui a été témoin direct de la brutalité des attaques de l'occupation. Elle a cependant souligné que ces attaques pourraient inciter la communauté internationale à changer la donne pour ces enfants qui jusqu’ici ne pouvaient espérer de leur existence que la simple survie.

 Mme Albanese a fait remarquer que la charge de la preuve de la Cour Internationale de Justice (CIJ) pour discerner l'intention génocidaire d'un État est très élevée, et qu'aucun État n'a été tenu pleinement responsable à ce jour. Elle a expliqué que pour s'en assurer, il faut examiner les schémas de comportement de l'État agresseur, ainsi que leurs ampleurs. Alors que les praticiens du droit international s'accordent largement à dire que les actions radicales de l'État d'Israël constituent des crimes de guerre, Mme Albanese a poussé la communauté internationale à prendre en considération leur nature manifestement génocidaire. Non seulement les violations sont systématiques, mais elles sont également commises avec une intention génocidaire évidente à plusieurs niveaux de l'appareil militaire israélien. Cela va au-delà du simple manquement à l'obligation de prévenir le génocide, obligation qui incombe à tous les États parties signataires de la convention de 1948 sur le génocide, y compris Israël. Comme elle l'a noté dans la conclusion de son discours d'ouverture, "le génocide aurait dû être évité, mais il a maintenant été commis".

Ces derniers mois, Mme Albanese a été confrontée à des critiques de plus en plus haineuses et virulentes de la part de ceux qui préféreraient que ses conclusions ne soient jamais révélées à la communauté internationale. Son mandat, que les États membres des Nations unies ont créé et doivent soutenir, consiste à enquêter et à faire état sur la situation des droits de l'Homme dans les territoires palestiniens. C'est exactement ce qu'elle a fait, en mettant en lumière les atrocités subies par le peuple palestinien aux mains de ses occupants. Et pourtant, malgré les nombreuses preuves qu'elle a rassemblées et présentées au monde, nombreux sont ceux qui ont continué à dénoncer injustement son travail, sa position et même sa personnalité. Il est crucial, dans des moments comme celui-ci, de soutenir ceux qui luttent pour la justice du peuple palestinien, y compris lorsqu'ils sont confrontés à des remarques haineuses et même à des menaces.

GICJ et ses ONG partenaires soutiennent sans équivoque le travail de la rapporteuse spéciale, ainsi que tous les défenseurs des droits de l'Homme qui appellent à la préservation des droits fondamentaux des Palestiniens, auxquels ils ont droit en vertu du droit international et du droit humanitaire international. C'est dans cet esprit que nous avons organisé cet événement et que nous continuerons à faire entendre la voix du peuple palestinien.

Questions de l'audience

Après les interventions, les membres du public ont posé des questions aux orateurs. Alfred-Maurice de Zayas, ancien expert indépendant des Nations unies sur la promotion d'un ordre international démocratique et équitable, et professeur de droit international et d'histoire à la Geneva School of Diplomacy, a posé la question suivante :

"Le diagnostic est clair et vous l'avez plus que justifié et étayé. Mais quelles mesures la communauté internationale peut-elle prendre maintenant, incluant la rupture de toutes les relations commerciales et diplomatiques avec Israël ?

Mme Shadeed répond en premier, soulignant l'importance d'un cessez-le-feu immédiat et permanent, en plus d'un embargo militaire sur Israël. Peu avant cet événement, le Conseil de sécurité des Nations unies a annoncé le 25 mars 2024 un cessez-le-feu temporaire pour le reste du mois de Ramadan, qui est à présent passé. Elle a également appelé la communauté internationale à faire pression sur Israël pour la libération des quelque 10 000 prisonniers politiques détenus depuis le 7 octobre. Mme Shadeed a en outre souligné que des mesures appropriées seraient l'annulation de tous les accords de libre-échange avec Israël, un soutien officiel des États à la plainte déposée par l'Afrique du Sud contre Israël, l'assistance à la CPI dans la collecte de preuves pour son enquête, et l'utilisation de mécanismes judiciaires au sein des pays pour faire en sorte que les auteurs de crimes de guerre rendent compte de leurs actes. Enfin, elle a demandé que l'adhésion d'Israël à des événements internationaux soit dissous ou révoquée, par exemple en ce qui concerne l'Eurovision, la FIFA et les prochains Jeux olympiques de 2024.

La Rapporteuse Spéciale Albanese est également intervenue sur cette question. Elle a fermement souligné que le retard pris par les mécanismes judiciaires internationaux, en particulier la CPI, ne devrait pas dissuader les États de prendre des mesures indépendantes. Notamment, les tribunaux nationaux sont des moyens viables et efficaces d'engager des procédures, en particulier contre de nombreux Israéliens qui possèdent une double nationalité et travaillent avec l'armée israélienne. Elle a également affirmé la nécessité de soutenir la Commission internationale indépendante d'enquête sur Israël et les territoires palestiniens occupés, qui a contribué au processus de déclenchement de l'avis consultatif de la CIJ.

La deuxième question a été posée par une personne ayant la double nationalité palestinienne et suisse, qui s'inquiétait du fait que le gouvernement suisse retire son financement aux ONG. Elle a posé la question suivante : "Comment envisagez-vous une solution juste pour la Palestine dans dix ans ? Quelle est la solution la plus réaliste et la plus juste pour la Palestine ?

Selon Mme Shadeed, "ce qui se passe en Palestine a un impact immédiat sur les libertés des Européens". L'interdiction par Israël de manifester ou d'utiliser certaines couleurs ou certains slogans devrait susciter l'inquiétude du monde occidental et a des conséquences directes sur la santé du droit à la liberté d'expression dans le monde entier. En outre, tout en notant qu'elle ne peut pas parler au nom du peuple palestinien en revendiquant le résultat souhaité, qu'il s'agisse d'un État unique, de deux États ou même de plusieurs États, Mme Shadeed se préoccupe avant tout de leur autodétermination. Depuis 75 ans, les Palestiniens sont privés de la vie politique saine à laquelle ils ont droit. Ils devraient se voir accorder le droit d'organiser des élections et de déterminer leurs propres structures politiques, droits que l'occupation leur a systématiquement refusés. Au cours de la prochaine décennie, Mme Shadeed souhaite simplement que les Palestiniens contrôlent leur propre avenir, qu'ils puissent construire leur propre identité dans un contexte politique, économique et culturel qui réponde à leurs besoins et, en fin de compte, qu'ils soient heureux.

Mme Albanese, pour sa part, a déclaré qu'au cours des négociations en vue de la solution des deux États, les Palestiniens ont accepté la ségrégation de leur peuple dans la recherche d'une solution pacifique à leur situation. Pourtant, Israël a continué à leur imposer un système d'oppression qui consacre une sorte de supériorité de ses citoyens. Un tel système est inacceptable. Il ne faut pas s'étonner que la résistance naisse de cette situation. Mme Albanese a fait remarquer que les Palestiniens ont poursuivi pendant des décennies des moyens pacifiques de résistance, mais qu'après avoir subi la violence et la discrimination pendant si longtemps, il ne fallait pas s'attendre à ce qu'ils acceptent simplement leur oppression. Comme tout peuple, les Palestiniens ont le droit de résister en vertu du droit international. Le fait que certains actes commis dans le cadre de ce processus aient été illégaux n'invalide pas ce droit. En ce qui concerne l'avenir des Palestiniens, il est important de souligner qu'il incombe à la communauté internationale de ne pas s'exprimer au nom du peuple palestinien sur l'État qu'ils jugeraient acceptable. Au contraire, leur voix doit s'élever dans le cadre de ce processus, dans lequel les droits de tous les habitants du territoire doivent être acceptés.

Conclusion 

Avant la fin de la session, nous avons eu l'honneur d'entendre Mme Heba, une réfugiée palestinienne qui est récemment arrivée à Genève après avoir été évacuée de l'assaut sur Gaza, en passant par l'Égypte. Elle a parlé de ses graves blessures et a témoigné de son séjour à l'hôpital, où elle a été forcée de quitter les lieux en urgence par les équipes d'intervention de l'occupation. Pendant de nombreux kilomètres, elle a marché avec une blessure à la colonne vertébrale, voyant des cadavres gisant tout autour d'elle. Tout au long de ce carnage, elle a vu des soldats rire de la situation.

Mme Heba a exprimé sa déception à l'égard des ONG qui prétendaient lui apporter un soutien. Elle n'a pas reçu les produits de première nécessité dont elle et d'autres personnes dans une situation similaire avaient besoin. Pendant huit jours, elle a cherché de l'eau ou du lait pour sa fille. En raison du manque de ressources disponibles, elle a même dû boire un "liquide sombre" en essayant de conserver de l'eau propre pour son enfant.

Personne, et surtout pas les enfants, ne devrait avoir à souffrir de la douleur que la population de Gaza a connue pendant des années, et plus particulièrement au cours des six derniers mois. La douleur de perdre sa famille, sa maison, ses revenus, son éducation, ses amis et, enfin, la douleur de mourir de faim. C'est un échec moral de la communauté internationale que d'avoir permis que de telles conditions se produisent.

Geneva International Centre for Justice (GICJ) salue le travail de la Rapporteuse Spéciale et de tous les défenseurs des droits de l'Homme, tels que Mme Shadeed, qui dénoncent les crimes de l'occupation et cherchent à faire entendre la voix du peuple palestinien en ces temps tragiques. Nous appelons la communauté internationale à entreprendre tous les efforts possibles pour mettre fin aux souffrances actuelles, notamment en adoptant une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies exigeant un cessez-le-feu permanent et en obligeant la puissance occupante, Israël, à se conformer aux mesures provisoires de la CIJ, qu'elle a défiées à maintes reprises. Nous demandons également qu'il soit mis fin aux souffrances du peuple palestinien, ce qui ne sera possible que lorsque l’occupation prendra fin.

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